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Patrimoine de l’Aéronavale

Écrit le 29/10/22, dans Actualités France

Le Neptune 563 de Brienne-le-Château

Grâce à un lecteur fidèle, Miguel Couturier, Escadrilles aborde à nouveau un sujet patrimonial qui intéressera les nombreux passionnés d’aéronautique navale : un avion de légende, le Lockheed P2V-7 Neptune 147563 est en train de finir ses jours sur une marguerite de l’aérodrome de Brienne-le-Château (une ancienne base OTAN).

Le 563, avant 2019, alors que le Noratlas 31 lui tenait encore compagnie

Autrefois hébergé par feu le Musée aéronautique de Champagne, en compagnie de quatre autres avions, le Neptune 563 est aujourd’hui le seul grabataire de l’aérodrome, son compagnon d’infortune, le Noratlas n°31 ayant rejoint les Vosges (par la route) en 2019. Pourquoi évoquer cet avion dont ‘Miguelito’ m’a rappelé l’existence ? Il se trouve que le 563 est le dernier P2-V7 que j’ai photographié, alors qu’il volait encore à la flottille 25F en juin 1983. Cela suffit pour créer un lien particulier avec cet avion légendaire.

Accusant le poids des hivers, mais toujours debout … pour combien de temps ?

Mais donnons la parole au principal intéressé … le Neptune 563 … car contrairement à ce que croient les humains, les avions ont une vie propre, qui ne s’arrête pas quand ils cessent d’être pilotés et bichonnés par la mécanique : quelques microampères glanés dans l’air ambiant qui circulent dans leurs circuits électriques suffisent à conserver la vie intérieure de ces créatures de l’industrie humaine.

Honnêtement, c’était pas moi le plus beau de la BAN de Lann Bihoué ?

« Je naquis à Burbank (Californie USA) dans les usines de Lockheed, au début de 1959. Avec mes huit frères, je faisais partie de la troisième portée (sur quatre) adoptée par l’Aéronavale française. Nous étions numérotés de 147562 à 147571. De mes toutes premières années, je ne me souviens pas grand chose … sans doute fus-je d’abord intégré à la Flottille 24F (à moins que ce ne soit la 23F ?). En tout cas, dès ma neuvième année, je fis partie des privilégiés, j’intégrais la grande 25F, qui me choya jusqu’à mon départ à la retraite, en juillet 1983 ».

Juin 1983 : regardez, comme la foule se pressait pour admirer mes lignes !

« En 1968, à l’aide de Julie et Jézébel, j’étais une vraie bête de guerre : mes équipages disaient que je valais bien les jeunes blanc-becs de chez Breguet. Bien sûr, au niveau du confort, ce n’était pas la même chose. Malheureusement, peu après, je connus à nouveau le deuil : deux de mes frères cadets périrent, emportant outre-tombe tout ou partie de leur équipage. Le 571 s’écrasa après le décollage, le 4 février 1970, et le 564 percuta le sol avant l’atterrissage dans le brouillard, le 15 janvier 1971. »

Ah les doux hivers bretons dans les marguerites lorientaises …

« Contrairement à mes cadets, les 566 et 570, je ne connus ni la Polynésie ni la Calédonie: je restais fidèle à la 25F, même si mes missions me conduisirent très loin de la Bretagne. Pareillement, je ne fus pas la vedette de la guerre électronique comme ce prétentieux de 569, le ‘Goldorak’… En 1982, je faisais partie des cinq derniers Neptune de la Flottille 25F … qui s’apprêtait à se séparer de nous. Plusieurs de mes frères, comme les 562 et 568, gisaient déjà inanimés dans une alvéole de Lann Bihoué ».

Mon frérot le 566, vu en juillet 1989 alors qu’il rejoignait à tire d’ailes un paradis pour avions retraités, l’Australie.

« Notre chant du cygne eut lieu le 28 juin 1983, avec une grande fête en notre honneur, et j’effectuai un vol en patrouille avec deux autres avions, issus de la dernière portée de Neptune, les 148334 et 335 [ https://www.youtube.com/watch?v=bGSdfsD6–Q ]. Ensuite, pour ma retraite, la Flottille m’avait réservé une place dans un hospice (on ne disait pas EHPAD, Etablissement d’Hébergement Pour Avions Délaissés, à cette époque) qui offrait toute garantie, le Musée aéronautique de Champagne. Bien que trop éloigné de l’air marin, l’endroit n’était ‘pas surpeuplé’, était doté d’un ‘personnel dévoué’, permettait des ‘visites régulières’, et jouissait de ‘l’air pur de la campagne’. »

Neuf mois après mon arrivée à Brienne, les espoirs d’une retraite dorée m’étaient permis (moment saisi par le déclic de feu Michel Léonard)

« Les premières années de mon séjour à Brienne furent satisfaisantes … Mais, alors que je me prépare à passer mon quarantième hiver en plein air dans un climat qui n’est pas le plus doux de France, et que des humains irrespectueux m’ont déjà vandalisé, je sens une certaine lassitude me gagner. Et surtout, depuis que mon compagnon de marguerite, le Noratlas 31 a quitté l’hospice les pieds devant … l’optimisme, qui fait partie de mon ADN de marin du ciel, commence à chanceler. Et je me pose des questions. »

Il faut être un marin pour subir 40 ans d’intempéries et demeurer fier …

« Est-il vrai que je suis sous la responsabilité d’un très grand établissement de Paris ? M’aurait-il oublié ? N’y-a-t-il pas dans le sud de la France un établissement pour retraités, réputé, qui n’héberge pas encore de Neptune ? Sans oser rêver à un destin doré comme mon frère le ‘566’, qui a trouvé en Australie des hôtes passionnés qui le font VOLER, ne puis-je espérer un autre futur que celui de l’effondrement fatal ou de la pelleteuse ? Marins du ciel, mes frères, vous qui déplacez des montagnes pour sauvegarder votre patrimoine … ne m’oubliez pas !« 

Alexandre et escadrilles.org

Remerciements : à Miguel Couturier, et à Claude Morin (ARDHAN, www.aeronavale.org).

Note : les Neptune préservés en France sont le 335 (exposé au Musée de l’Air et de l’Espace), le 334 (démonté, MAE), le 688 (Musée de l’Aéronautique Navale, Rochefort), le 567 (BAN Lann Bihoué).