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Retour aux sources …

La réception des jeunes pilotes à leur première affectation dans les escadres de chasse, dans les années 50/60

En ce début de l’année 1956, Gérard Schaub breveté au Canada débarque avec une fournée de ses camarades, en Allemagne, côté RFA à l’époque, sur la base NATO de Lahr-Hugsweier, sur l’autre rive du Rhin, par un froid de canard, en grande tenue, pour se présenter à sa future unité : la 9ème Escadre de chasse où lui sera précisé à quel escadron on le destine…

Ce moment est impressionnant pour le jeune pilote de chasse … et il ne s’attend probablement pas à la réception qui va suivre… Récit de ses aventures :

L’hiver 1955/56 est très rigoureux (température largement négative et 40 cm de neige).

Passage rapide chez le Cdt d’Escadre en tenue N°1 . Puis nous partons pour l’Escadron 2/9. Accueil froid par le Commandant d’escadron. J’apprendrai par la suite qu’il est de coutume dans ces circonstances de procéder à des échanges de grades pour créer une certaine confusion … En l’occurrence, l’échange des casquettes s’est produit entre le commandant d’escadron et le chef de piste ; chacun jouera son rôle à la perfection et nous n’y verrons que du feu. Nous percevons une espèce de mépris pour les brevetés canadiens notamment chez quelques vieux chibanis sous-officiers sous-chefs de patrouille (on disait ‘Instructeur chasse’) ayant servi en Indochine sur Airacobra, Spitfire, Bearcat … Je dois ajouter que nous sommes contraints de boire à plusieurs reprises un mélange moitié bière, moitié rhum, ce qui commence à chauffer l’atmosphère.

Après, c’est la tournée du hangar et la présentation aux chefs de service radio, armurerie, équipement et au personnel mécanicien. Evidemment il faut boire un grand verre de la boisson déjà citée dans chaque service. Ensuite chacun d’entre nous reçoit un seau rempli de neige avec laquelle il est invité à faire briller le fuselage de trois F-84E, alors que nous sommes presque ivres morts et en tenue n° 1.

Un Thunderjet F-84E de l’escadron de chasse 2/9 Auvergne

Nous sommes enfin ramenés presque inconscients dans nos chambres avec ordre de se présenter à l’escadron le lendemain matin à 6 heures. Le lendemain, une garde armée se présente dans nos chambres vers 11 heures et nous tire d’un sommeil profond pour nous signifier que nous sommes aux arrêts et que nous devons rejoindre le 2/9 immédiatement pour effectuer notre premier vol, alors que notre état physique et mental est au plus bas. Il a neigé toute la nuit et un épais brouillard recouvre la région : un temps de QGO.

Au bar du ‘club’, quelques tournées de la dangereuse mixture, remise de combinaisons de vol tachées et déchirées et d’un vieux casque pourri pour un vol programmé dans l’heure qui suit. Nous objectons que nous ne connaissons pas l’avion et qu’il y a QGO. Tout le monde se marre et dit reconnaître là la piètre qualité de la formation canadienne. Nouvelle tournée de la traditionnelle boisson et on nous entraîne, titubants, au bureau de piste pour signer la forme 11.

Puis le faux chef de piste  nous enjoint de rejoindre trois F-84E dont les roues disparaissent sous la neige et qui apparaissent remorqués par trois tracteurs. L’un des avions a la queue démontée, réacteur à nu, ce qui malgré l’ivresse , nous semble bizarre. On nous aide à nous installer dans les cockpits, notre inquiétude grandit … Une dernière tournée nous est servie dans l’avion pour nous donner du courage, on ferme les verrières et les tracteurs démarrent et tractent nos avions pour un tour complet du parking sur une voie préalablement déneigée. Retour aux positions de départ sous les huées parce que nous n’avons pas décollé …

Transportés sur des brancards, on nous dépose pour une nouvelle tournée qui nous plonge dans un quasi coma et pour près de 48 heures de sommeil. Pour ma part, je n’ai jamais plus bu de rhum dans les vingt années qui ont suivi. Au 4ème jour, tout a été remis en ordre et nous avons eu un peu de mal à rendre au faux chef de piste son grade de capitaine !

J’ai fait mon premier vol sur F-84E le 1er mars 1956, après avoir passé quelque temps sur le manuel de vol. Le temps nécessaire et suffisant ! Et à temps pour le transfert de la 9 à Metz au printemps 1956, où elle fut dissoute en 1965, après seulement 10 ans d’existence …

Gérard Schaub, hiver 2019

NDLR : ce texte est la première partie d’un recueil de témoignages écrit en 2019 par Gérard Schaub, Jean Merlet et Michel Pochoy, anciens de la 9 et de la 4. Escadrilles publiera la suite de ces écrits au cours de cet hiver 2023.