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La Flottille 16F et ses Etendard IVP (1)

De la renaissance à la chute du mur

La flottille 16F ‘reco’, fut créée le 1er mai 1964 à Istres, avec un avion et une mission qui ne changèrent pas jusqu’au 28 juillet 2000, date de sa dissolution à Landivisiau. Entre ces dates et jusqu’à la dernière année, la flottille écrivit quelques belles pages de l’aviation embarquée, pas toujours des plus pacifiques.

La 'Grue à la pierre', insigne de la 16F, deuxième du nom
La ‘Grue tenant la pierre’, insigne de la 16F, deuxième du nom

Il faut préciser que le premier pacha de la 16F fut le CC Bernard Klotz (futur amiral) : avec un tel commandant (1), la flottille ne pouvait connaître qu’un destin mouvementé ! Bernard Klotz avait d’ailleurs suivi le programme Etendard en tant qu’officier de marque et tenait spécialement à prendre les rênes de la 16F reco.

Avion aux lignes pures, l'Etendard IVP fut le frère d'écurie du Mirage III
Avion aux lignes pures, l’Etendard IVP fut le frère d’écurie du Mirage III

Première (et dernière) flottille de reconnaissance embarquée de l’Aéro, la 16F-reco se choisit un insigne nouveau et différent de celui de la 16F-chasse de nuit: une grue (l’oiseau) tenant une pierre, symbole de vigilance, le tout sur fond de film photo. Le renseignement visuel et photographique restera en effet la mission de l’unité pendant 36 années (2).

Premier de série, le 101 montre sont nez photo (3 caméras) et son chassis ventral (3 caméras longue focale)
Premier de série, le 101 montre son nez photo (3 caméras) et son châssis ventral (3 caméras longue focale)

L’avion, l’Etendard IVP, était une version photographique de son grand frère, l’Etendard IVM, c’est-à-dire un ‘design’ des années cinquante. Subsonique, mais plus fin que le Super-Etendard qui lui a succédé, ce monoréacteur représentait un grand pas en avant en matière de reconnaissance embarquée : il était équipé de trois caméras dans le nez, et emportait une baie photo avec trois autres caméras sous le fuselage. L’équipement photographique à base de caméras OMERA dérivait largement des appareils emportés par le Mirage IIIR, mis en service dans l’Armée de l’Air à la même période.

La 33e escadre de reconnaissance fut la marraine de la 16F-reco
La 33e escadre de reconnaissance de Strasbourg fut la marraine de la 16F-reco

C’est justement la 33e Escadre de Reconnaissance de Strasbourg-Entzheim qui initia la Flottille 16F à la ‘reco’: la spécialité n’était pas pratiquée par la chasse embarquée auparavant. Bernard Klotz y avait effectué plusieurs séjours, volant sur RF-84F Thunderflash. A noter que Benoît Silve, futur pacha de la 16F, effectua lui aussi un échange, d’une durée de 2 ans, au 2/33 Savoie, alors que cet escadron volait sur F-1CR.

Vu en 1972, le 117 nous montre ses bidons jaunes, signe distinctif de la 16F
Vu en 1972, le 117 nous montre ses bidons jaunes, ainsi que le casque jaune, signes distinctifs de la 16F

Dès l’origine, le ravitaillement en vol fit partie des figures imposées à la 16F, la mission de reconnaissance imposant de longs survols lors des missions de surveillance maritime. Cette capacité contribua à la valeur opérationnelle des Etendard de la 16F, mais la longévité de l’Etendard IVP et de la 16F s’explique avant tout par la nécessité impérative de connaître la situation locale en temps de crise, jour par jour, que l’on soit amené à bombarder ou pas.

Le 114 avec deux paniers à roquettes, vu en 1973
Le 114 avec deux paniers à roquettes, vu en 1973

A la différence du Mirage IIIR de l’Armée de l’Air, et de l’Etendard IVM, l’Etendard IVP n’était pas doté de canons … à la place des canons, on trouvait des équipements pour alimenter la baie photo (3). Mais cela ne le rendait pas inapte aux missions d’attaque air-sol, puisque l’avion pouvait emporter des paniers à roquettes sur les points d’emport extérieurs de la voilure (4).

Le 111, avec la nacelle Douglas qui remplace le chassis photo ventral (Cambrai, 1973)
Le 111, avec la nacelle Douglas qui remplace le châssis photo ventral (Cambrai, 1973)

Un total de 21 Etendard IVP sortirent d’usine (numérotés de 101 à 121) en plus des 69 Etendard IVM. Certains furent affectés temporairement à la 15F ou à la 17F, et quelques avions équipèrent également la 59S pendant une période prolongée … jusqu’à ce que l’attrition opérationnelle conduise l’Aéronavale à concentrer ses IVP à la flottille 16F, la seule étiquetée ‘reco’ en mission principale.

Le 106, sur la BA 123 en 1976, sans chassis photo
Le 106, sur la BA 123 en 1976, sans châssis photo

Cette attrition importante amena l’Aéro à faire modifier quatre Etendard IVM en version reco, les 52, 62, 63 et 66 devenant les 152, 162, 163 et 166 durant l’année 1979.

Vue ventrale d'un des quatre Etendard IVP issus de M
Vue ventrale d’un des quatre Etendard IVP issus de M

Peu de temps après sa création, les ‘Pirates’ de la 16F migrèrent vers Hyères. De 1966 à début 1967, un détachement de pilotes et quatre avions embarqua avec la 15F, à destination du Pacifique. L’opération fut renouvelée d’octobre 1967 à fin 1968, au bénéfice de la 17F, cette fois. Lors du second détachement, la 16F reçut 4 Etendard IVM pour compléter son armement. Le 1er avril 1969, la flottille déménagea vers la BAN de Landivisiau, prenant en quelque sorte la place de feue la 15F, et rejoignant la plupart des unités de chasse de la Marine.

Lignée de la 16F à Landivisiau : à partir de 1979, la flottille est localisée au sud de la 12F
Lignée de la 16F à Landivisiau : à partir de 1979, la flottille est localisée à l’Est de la 12F, les deux flottilles de Super-Etendard étant à l’ouest de la tour.

Seule flottille de reconnaissance embarquée, la 16F fut de toutes les campagnes, depuis les déploiements en Mer Rouge du milieu des années soixante-dix (opérations Saphir 1975-77), jusqu’à la campagne Trident de 1998-1999, au-dessus de l’ex-Yougoslavie, en passant par les crises au Liban (missions Olifant 1982-84), dans le golfe Persique (Prométhée 1987-1988) ou en Bosnie (Balbuzard et Salamandre 1993-96).

Vu en juillet, le 107 n'a pas son chassis photo. Noter l'Etendard IVM à l'arrière plan
Vu en juillet 1979, le 107 n’a pas son châssis photo. Noter l’Etendard IVM à l’arrière plan

Lorsqu’un groupe aéronaval prenait la mer, on pouvait compter un détachement de trois à quatre Etendard de la 16F à bord, ce qui impliquait un rythme opérationnel particulièrement intense pour la flottille (5). Les autres missions opérationnelles de l’aviation embarquée étaient assurées par au moins une paire de flottilles à cette époque: 12F et 14F (jusqu’en 1979) pour l’interception, 11F, 17F pour l’assaut, 4F et 6F pour la surveillance et l’attaque anti-navires.

Le 163, ex-Etendard IVM 63, en démonstration à Landivisiau en juin 1979
Le 163, ex-Etendard IVM 63, en démonstration à Landivisiau en juin 1979

Parmi les endroits chauds de la planète où intervint la 16F, il y eut la corne de l’Afrique, lieu des missions Saphir. Saphir 1 vit la participation de trois Etendard IVP au sein d’un groupe embarqué où étaient représentées 7 flottilles et une escadrille, à bord du Clemenceau, d’octobre 1974 à mars 1975. La destitution du Négus (le vrai, pas celui de la 14F !) entraînait un risque d’instabilité pour la région.

Le 109, vu aux mains de la technique en juillet 1979
Le 109, vu aux mains de la technique en juillet 1979

Saphir 2 suivit, d’avril à juin 1977, avec pour cadre la déclaration d’indépendance de Djibouti et la guerre de l’Ogaden entre l’Ethiopie et la Somalie. Le 11 juin 1977, la flottille déplora la perte d’un pilote (LV Frachon) et de son avion (le 106) lors d’un vol d’entraînement. A partir de 1982, le Liban va nécessiter l’intervention réitérée de moyens aéronavals : les missions Olifant s’étalent de septembre 1982 à mai 1984.

Le 162 et le 166, ici en juin 1982 : la peinture ne tient pas sur le nouveau bez
Le 162 et le 166, ici en juin 1982 : la peinture ne tient pas sur le nouveau nez

Les IVP de la 16F furent aux premières loges pour documenter les zones de contact entre les troupes françaises et les milices. A cette époque déjà, le missile portatif SA-7 était devenu la première menace pour les pilotes. Ainsi, le 23 septembre 1983, le n°162 (un des Etendard IVM rétrofités en IVP), piloté par le CC de Fautereau-Vassel, est atteint au niveau du croupion par un SA-7. Déjà, l’Etendard prouve sa résilience face à ces missiles : le pilote ramène son avion à bord du Foch.

Le 109, vu en 1986 à Mont-de-Marsan, avec une nouvelle peinture grise
Le 109, vu en 1986 à Mont-de-Marsan, avec une nouvelle peinture grise

A partir de 1985, la flottille participa au développement de l’Etendard IVP modernisé, d’abord mené sur le n°114. Entre 1989 et 1994, le parc fut modernisé : huit Etendard reco devinrent des IVPM, en recevant de nouveaux équipements d’auto-protection (bien utiles par la suite) de communication et de navigation (centrale inertielle): ce furent les 107, 114, 115, 118, 120, 153, 162 et 163.

Vu en 1987
Vu en 1987, le 101 a revêtu la peinture ‘modernisée’, mais cet avion restera au standard initial

La 16F fut ainsi à même de participer à la gestion des crises balkaniques des années quatre-vingt-dix.

Copyright: Alexandre et escadrilles.org
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(1) L’amiral Klotz été particulièrement connu dans l’aéronautique navale pour ses faits d’armes en Indochine et son courage lors des épreuves qu’il a subies, lors de sa captivité suite à la prise du camp de Dien Bien Phu.

(2) L’entraînement des pilotes de reconnaissance comprend aussi ce volet très spécialisé de l’identification du matériel militaire en 1/10 de seconde, à la capacité de noter des détails le temps d’un passage à 500 noeuds, et de restituer précisément une situation entrevue d’une manière fugace.

(3) Avec deux caractéristiques particulières: tout d’abord la capacité du défilement continu pour une des caméras de la baie ventrale, dans laquelle le négatif défile à l’opposé du défilement de l’avion, permettant d’obtenir des détails d’une extraordinaire finesse, capacité particulièrement utile pour des vues de détail des bâtiments soviétiques. Ensuite un format de négatif de 114/114 millimètres, qui permettait des agrandissements de très grande taille.

(4) La capacité ‘roquettes’ ne fut pas conservée lors de la modernisation de l’Etendard IVP, et le viseur fut démonté. La visibilité vers l’avant, déjà très bonne auparavant, devint alors extraordinaire, donnant au pilote l’impression de ‘voler en moto’.

(5) C’était surtout vrai pour les pilotes, notamment les chefs de patrouille, denrée rare. Il était fréquent qu’en opération ils fassent 2 vols par jour. Avec les spécificités de la mission de reconnaissance qui, au moins à l’époque, supposait une très longue préparation, et une très longue exploitation … il fallait être en bonne santé.

… Voir l’historique de la période 1990-2000 …

Source : ‘La saga Etendard’, Jean-Marie Gall 2009. Tomes I et II, Lela Presse (Collection Histoire de l’Aviation n°23 et 24).

Remerciements particuliers à Benoît Silve, ancien commandant de la 16F (1993-1995) qui a bien voulu corriger et enrichir une première version de cet article.