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Pilote de F-100

Aux commandes du Super Sabre

textes de Denis Turina adaptés par Alexandre

‘La différence entre les enfants et les adultes, c’est le prix de leurs jouets !’

Ma découverte du F-100

Cette année là, en 1957, en vacance chez des amis à Verdun, nous sommes passés en voiture sur la route qui borde la base d’Etain et j’ai entendu… un coup de canon, puis vu un monstre qui crachait le feu en prenant son élan dans un bruit d’enfer.

C’est de la route qu’on découvrait le F-100 (ici à Toul-Rosières)

La « bête » a décollé, a viré et, pour la première fois, j’ai vu le F-100 Super Sabre « en chair et en os ». Je le connaissais déjà à travers quelques photos de lui parues dans « Aviation Magazine », mais cette première rencontre m’a réellement impressionné.

Mai 1966

Dix ans ont passé. Après quelques heures de vol, dont un tour de France aérien, et quelques sauts en parachute, j’ai quitté Grenoble, puis Salon, puis Tours. En compagnie se quelques petits camarades pilotes de chasse nous pilotons des Mystères IVA, en école de tir au 2/8 Nice, à Cazaux.

Le Mystère IV du 1/8 Saintonge, avec la décoration classique

Un jour, sur le parking des escadrons en campagne de tir nous voyons arriver : des F-100…

Avec quelques rares camarades, malgré les mises en garde de notre encadrement sur le comportement des pilotes des escadres nucléaires de l’OTAN, nous sommes allés, presque en rampant, présenter nos respects aux demi-dieux capables de maîtriser une bête aussi puissante et aussi dangereuse. L’accueil du chef, le Commandant Pierre G., que nous avions croisé à Salon et qui est devenu mon ami Pierre a été très sympathique, chaleureux. Nous avons pu examiner les bêtes en long, en large et en travers, et même nous installer dans la cabine. Nous en avons aussi profité pour tâter le terrain, car trois mois plus tard, à la sortie du dernier stage en école, à Nancy-Ochey, nous aurons à choisir notre première affectation opérationnelle.

Super Sabre du 2/11 Vosges en 1970 (photo Michel Cristescu)

Mais à la question « Comment fait-on pour aller chez vous », la réponse a été :
« Je peux difficilement vous renseigner. La France vient de quitter l’OTAN et les Américains nous ont retiré la mission nucléaire. On parle de nous donner une autre mission, de nous faire déménager et même de nous faire assurer le vieillissement des futurs pilotes de Mirage. Mais ça, je n’y crois guère. Tenez-vous au courant, vous pouvez m’appeler quand vous voulez. »

Chaleureux mais, au final, pas très encourageant. Cela nous a cependant suffit pour nous voir aux commandes d’un F-100 avant la fin de l’année.

Trois mois plus tard, à Nancy-Ochey, se tient l’amphi garnison. La liste des escadres qui vont nous accueillir et le nombre de places proposées, est affichée. Dans l’ordre du classement de fin de stage, chacun de nous est appelé pour choisir, en fonction des places restées disponibles, son affectation en unité opérationnelle.

Pour le major de promotion : sur IIIC à la 5 !

Une place directement sur Mirage III C à la 5, à Orange. On nous fait comprendre que c’est un cadeau de roi, obtenu de haute lutte par le Commandement des écoles et réservé, de préférence, au major de promotion.

Quatre places sur SMB-2. Deux à la 12, à Cambrai, deux à la 10, à Creil.
Neuf places sur F-100 à la 11, à Bremgarten, dont six en vieillissement avant d’aller sur Mirage III E ou sur Mirage III R. Une première, Youpi !!!
J’ai pu choisir le Mirage III E, avec le vieillissement sur F-100. Le rêve !!

A l’époque, la 11, après la dissolution de la 1 et de la 9, vient de s’agrandir à trois escadrons. Le 1/11, le 2/11 et le commandement de l’escadre sont basés à Bremgarten. Le 3/11 est à Colmar, de l’autre coté du Rhin.

Avion du 3/11 Corse en 1970 (photo Michel Cristescu)

Au contact du F-100

Le jour dit, nous nous retrouvons neuf lieutenants « élus », briqués comme des sous neufs, pour passer la frontière et nous présenter à nos chefs. Accueillis par le Commandant en second de l’escadre, nous sommes ressortis de son bureau assez sonnés:
 » La 11 n’a jamais été une nurserie et ne le sera pas. Chaque escadron ne peut former qu’un ancien élève de l’Ecole de l’Air par an. L’escadre est formée de trois escadrons. Vous êtes neuf et je suppose que vous savez compter. En sortant de ce bureau vous vous présenterez à votre commandant d’escadron qui décidera de ce qu’il fera de vous. »

Par chance, ou plutôt par affinité je crois, je suis affecté au 1/11 Roussillon où mon ami Michel est commandant d’escadrille. Nous étions ensemble à Grenoble et nous avions fait plusieurs camps scouts où il était, déjà… chef de patrouille. Pour moi, il est un peu comme un grand frère.

Encadrés, briefés par les anciens dans une cellule d’instruction au sol créée pour la circonstance, notre petite troupe découvre la documentation américaine et suit les cours qui doivent lui permettre de maîtriser la bête. L’ambiance est excellente, nous sommes tous motivés et impatients de faire les premiers vols.

Planche de bord d’un F-100D

Quelques jours plus tard je fais mon premier vol, en place arrière d’un avion leader de patrouille. Après avoir découvert l’allumage de la post-combustion qui, sur F-100, se fait à pleine charge, je peux tâter les commandes, écouter vivre l’avion, admirer l’équipier et respirer un grand coup car, bientôt, il faudra assurer.

Pour le premier vol en place avant, l’instructeur n’est pas commode: ancien moniteur de Marrakech et ancien des Skyraiders, il ne s’en laisse pas compter. Au retour, je suis plutôt content de moi et surtout très fier d’avoir piloté la bête.

Le débriefing est dur et se termine par « de toutes façons, il faut que je parle au commandant d’escadrille ». Cloué au mur, car rien n’a échappé à la rigueur et au professionnalisme d’Hector, je comprends que la partie n’est pas gagnée. Le moral en prend un gros coup et je crains l’élimination.

Le 64009, côté ‘Tragédie’ à Toul-Rosières en 1972 (photo Michel Cristescu)

Michel, le commandant d’escadrille, m’appelle et me reçoit avec sa tête des mauvais jours. Je pense que mon sort est réglé. Il me demande simplement comment s’est passé le vol et, pour me défendre, je lui dis que je ne comprends pas ce qui peut m’être reproché à ce stade de la progression. Il me regarde, étonné, et m’interroge un peu plus en détail. Je le vois se détendre, puis sourire. Au bout d’un moment il me dit :
 » Il faudra que tu t’y fasses, mais il n’y a rien de grave pour toi. Ton instructeur pense même que tu pourrais partir en monoplace après un deuxième vol en biplace. Est-ce que tu te sentirais prêt ? Le seul vrai problème c’est que l’avion que vous venez d’utiliser est en panne, a priori pour plusieurs jours et que vous êtes nombreux à devoir être lâchés. »

Monoplace du Roussillon en finale de la BA 136 en 1973 ou 74

Je tombe des nues. Devant mes hésitations, Michel me propose de faire ce deuxième vol avec un autre instructeur, tout aussi exigeant mais un peu moins carré qu’Hector. Deux jours plus tard, je pars en double avec un « très vieil » adjudant-chef, qui devait approcher la quarantaine et dont le surnom, inspiré par des petites moustaches et un regard malicieux, rappelle un petit animal, genre furet. Deuxième vol sans histoire et, dans la foulée, très fier, je pars en monoplace, escorté par l’instructeur qui vient de me lâcher. Salut à toi « La fouine », merci l’Ancien.

Denis Turina, au bureau

Un an plus tard, en 1967, c’est le déménagement vers la France des escadres basées en Allemagne. Comme la ‘3’, escadre sœur de la ’11’ et mon escadre d’affection définitive, vient de quitter Lahr et s’installe avec difficultés à Nancy-Ochey, le commandant d’escadron me propose de rester un peu plus longtemps sur F-100 et de continuer mon entraînement jusqu’à la qualification de sous-chef de patrouille. Banco !

Le 54-2254, immatriculé 11-EG en 1973-74, à Metz-Frescaty

En 18 mois, je viens d’effectuer 350 heures de vol sur F-100, de vivre deux campagnes de tir, un échange escadron de trois semaines sur les plateaux d’Anatolie et un déménagement de base. … J’ai, aussi, cassé le 11-EG n°42150 en m’éjectant pour la deuxième fois, suite à une panne réacteur, et, malheureusement, douloureusement, vu partir quelques amis.

[La relation de l’éjection de Denis Turina lors d’une mission le 5 septembre 1967 peut être consultée ICI

Le F-100, un avion d’homme

Le F-100 est un avion de guerre, parfaitement adapté à sa mission.

Au Vietnam en 1968

Le F-100 est imposant, robuste, rustique, lourd. Il pèse quinze tonnes sans charges extérieures, presque vingt tonnes à la masse maximum. C’est un chasseur-bombardier qui a pu être comparé à un char, un gros camion, ou une locomotive à vapeur. Il a été conçu pour transporter et tirer principalement des munitions air-sol, lourdes et nombreuses, mais il prend aussi l’alerte de Défense Aérienne, avec quatre canons de 20mm et deux Sidewinder.

Rustique et imposant, ici au 1/11 en 1976

L’avion est rustique. Par exemple, il ne possède pas d’indication précise du fonctionnement de la post-combustion: « Ne vous inquiétez pas. Quand elle fonctionne, vous le savez ». Il faut dire que la P.C. est à peine régulée à la différence de celles que nous connaissons aujourd’hui: elle s’enclenche à la puissance maximum. Au décollage la poussée du moteur passe brutalement de 4600 kg à 7200 kg. Le coup de pied au c… est net, le débitmètre s’en donne à cœur joie, « ça décoiffe ». En altitude son allumage peut prendre quelques secondes et doit se faire de préférence la bille au milieu, et sans facteur de charge. Pour faire décrocher le compresseur il faut le vouloir: celui-ci fait brutalement et bruyamment part de son agacement.

BOUM … pas besoin de ‘Section péril aviaire’

Un jour, un pilote qui avait peut-être coupé la P.C. un peu tôt en décollant de Bremgarten dans cette configuration, a eu des sueurs froides après le décollage. A l’atterrissage, il a raconté : « quand j’ai vu passer Fribourg, j’ai cru que j’étais dans le train. » Comme la ville de Fribourg est à une bonne quinzaine de kilomètres de la piste, il est possible qu’il ait un peu exagéré …

Volets en position décollage pour le 42186 juste arrivé à Djibouti (1974)

Pas d’indicateur non plus pour donner la position des volets de courbure : « Vérifiez bien en regardant dans le rétroviseur ». En 1966, la manette de commande des volets n’a que deux positions : rentrés pour le décollage et le vol, ou sortis pour l’atterrissage. Quand nous décollons avec quatre réservoirs supplémentaires, l’avion est très lourd et il nous faut mettre les volets sur une position « décollage », repérée par un trait de peinture sur le fuselage. Pour y arriver, le mécano de piste nous fait signe de sortir les volets en position « atterrissage » puis de les rentrer. Pendant le mouvement de rentrée, sur un panneau à gauche dans la cabine, le pilote saisit le « breaker flaps » entre ses doigts. Quand les volets arrivent au niveau du repère peint sur le fuselage, le mécano lève la main. Le pilote tire le breaker vers le haut, coupant ainsi le circuit de commande. Les volets restent bloqués dans la bonne position. Après le décollage, il suffit au pilote d’enfoncer, sans pouvoir le regarder, le breaker qu’il sent dépasser au milieu des autres. Les volets rentrent alors complètement et le vol peut se poursuivre normalement. Quelques années plus tard les P.C. seront mieux régulées, et une position « décollage » sera installée sur le circuit de commande des volets. Tous les décollages se feront avec « un cran ».

Au roulage à Metz-Frescaty en 1975, le 56-3938 ‘EZ’

La cabine du F-100 manque de finition. Nos combinaisons et nos blousons de vol sont souvent déchirés par les écrous et par extrémités des boulons qui dépassent de la structure. On voit des câblages et des fils électriques qui courent dans les « tripes » de la cabine.

Rusticité pour les mécaniciens … ici un avion du 4/11 à Djibouti

Pour mettre en route le réacteur du F-100 on utilise un petit camion, le M.A.2, sur lequel est installé un petit réacteur qui fournit l’air comprimé nécessaire au démarrage.

Hiver 77: le 42154 avec son MA.2 de démarrage

Approche, atterrissage

Le F-100 est une locomotive. Si le pilote respecte le circuit d’atterrissage standard, tel qu’il a été prévu par les « cowboys », c’est-à-dire sans toucher à la manette des gaz entre l’arrivée au dessus de l’entrée de la piste pour le break, stable à 1500 pieds – 300 kts, et le toucher des roues, l’avion ne cherchera pas (trop) à en sortir.

Break en piste 22 de la BA 136

Comme toutes les locomotives, le F-100 n’est pas facile à arrêter. Le parachute de freinage n’est pas toujours très fiable, les freins ne sont guère efficaces et la poussée résiduelle du réacteur, au ralenti, est importante. C’est pour toutes ces raisons qu’à Toul, où la piste descend vers le sud, la 04 reste en service jusqu’à 10 kt de vent arrière.

Premier avion en finale, avion lisse: peut-être un ‘jeune’

Les choses sérieuses commencent quand les roues de l’avion touchent la piste. D’abord, le pilote réduit à fond le moteur et sort l’aérofrein. Puis il laisse la roue avant prendre contact avec la piste. De cette manière, il peut enclencher le « nosewheel », système très pratique qui permet d’orienter la roue avant à l’aide du palonnier.

Second avion, un biplace: peut-être un ‘vieux’

Quand le « nosewheel » est enclenché, le pilote déclenche l’ouverture du parachute frein qui est plié sous la tuyère, et rentre les volets d’atterrissage pour diminuer la portance. Cela charge les roues principales et augmente l’efficacité des freins. Ensuite il commence à freiner après avoir attendu que l’avion ait ralenti à la vitesse maximum autorisée pour le faire. Cette vitesse varie avec la masse de l’avion et doit être calculée pour chaque atterrissage. Quand tout se passe bien, l’avion s’arrête sans problème et le pilote peut se détendre.

Train avant, équipé d’un ‘nose-wheel steering’ indispensable

Il arrive que le parachute ne s’ouvre pas, qu’il se déchire ou qu’il éclate à l’ouverture. Comme l’avion a les trois roues sur la piste, il n’y a plus de freinage aérodynamique et comme les volets sont rentrés, il n’est pratiquement plus possible de redécoller et de faire une nouvelle présentation. Immédiatement, le pilote doit couper le moteur pour éliminer la poussée résiduelle et attendre que la vitesse maximum de freinage, qu’il a calculée, soit atteinte. Comme le moteur est coupé, il n’y a plus de pression hydraulique et le « nosewheel » ne fonctionne pas. Les freins sont alimentés par leur pompe de secours, qui fonctionne uniquement à l’aide de la batterie. Ils sont nettement moins efficaces qu’en fonctionnement normal.

Pas d’incident de parachute pour ce pilote le 30 mai 1976

De nuit, par vent de travers et sous la pluie, l’exercice mérite le détour.

Le Delta Pi, la remise de gaz et la P.C.

Le « Delta Pi », c’est l’EPR (Engine Pressure Ratio), qui renseigne sur la poussée instantanée fournie par le réacteur en affichant le rapport des pressions de l’air qui le traverse. Avant chaque décollage la tour de contrôle donne la valeur du Delta Pi, qui dépend de la température extérieure. Dans la cabine le pilote positionne le curseur, à la bonne valeur, sur l’instrument correspondant. Quand le moteur est plein gaz, l’aiguille du Delta PI doit être en face du curseur. L’indication du tachymètre, instrument habituellement fondamental pour la conduite du moteur, devient presque secondaire.

Avec sa tuyère marquée par les surchauffes, le F-100 méritait le terme ‘lampe à souder’

L’allumage de la P.C. se fait en deux temps et deux secondes au maximum à basse altitude :

– temps 1 : des vérins, actionnés par le carburant, ouvrent les volets de tuyère. La surface de sortie des gaz est pratiquement doublée, la valeur du « Delta Pi » chute et la poussée diminue fortement. Le carburant est injecté dans la PC.

– temps 2 : Le carburant est allumé. L’aiguille du « Delta Pi » remonte à sa valeur initiale, la poussée est augmentée de 60% par rapport à « plein gaz sec ». Au décollage par exemple, elle passe de 4600 à 7200 kg.

En remise de gaz, si la PC ne s’allume pas dans les deux secondes, l’avion, tuyère ouverte, manque de poussée et le pilote est ‘mal’. Le temps de replacer la manette sur le secteur « pleins gaz sec » pour fermer la tuyère et retrouver la poussée normale, il a pu se passer des choses… C’est pour cette raison que nous ne passions pas la PC en remise de gaz.

La PC était indispensable pour faire décoller un F-100 chargé en pétrole

En altitude l’allumage de la PC pouvait être assez long (5 sec maxi) et quelques tuyères ont été un peu soudées à l’allumage par des pilotes obstinés, qui ont attendu trop longtemps.

Il faut aussi surveiller le niveau du carburant restant dans le réservoir principal, pas très volumineux. Le débit instantané des pompes de transfert ne suffit pas pour compenser le carburant consommé à pleine charge PC !

L’usure des pneus.

Sur F-100, la bande de roulement est faite de couches successives de toile et de gomme blanche qui se superposent les unes aux autres. Quand le pneu a subi quelques atterrissages, les couches de toile et de gomme sont usées, des rustines blanches, de forme plus ou moins ovales, apparaissent à la surface. Un ovale par toile usée, il suffit de compter. Les quatre premières toiles ne sont pas prises en compte. Une couche de gomme blanche un peu épaisse signale la cinquième toile, celle qui sert de référence.

Pneus neufs pour cet avion en expo statique à Djibouti

C’est seulement à l’apparition de la cinquième toile suivante, après la toile de référence, qu’il faut changer le pneu. Sans honte et sans complexe, les roues de F-100 peuvent donc exhiber des patates monstrueuses qui servent de témoin d’usure. Sur les aérodromes habitués aux Mirage, il arrive que ces patates perturbent fortement la conscience des mécanos chargés de la remise en œuvre de nos avions. Il a souvent fallu faire intervenir des autorités averties, crédibles et compétentes, pour autoriser les F-100 à rentrer chez eux.

Aux grandes incidences : le roulis induit et la vrille du F-100.

Sur F-100, quand les becs sont sortis, l’avion est cramponné aux filets d’air comme un grimpeur à son rocher. En dessous de 150 kt le lacet inverse est important, et il peut être dangereux d’utiliser le gauchissement. L’inclinaison s’obtient à l’aide du palonnier, par roulis induit. De cette façon, on peut tourner un tonneau « aux grands angles ». La sortie de vrille se fait « manche au ventre » pour alimenter en air la dérive jusqu’à l’arrêt de la rotation, avant de rendre la main.

Jusqu’en 1973, le F-100 demeura le seul chasseur ravitaillable en vol de l’Armée de l’Air

Un chasseur-bombardier exceptionnel pour l’époque

Par la variété des munitions qu’il permet d’emporter, le F-100 offre à son pilote des circuits de tirs variés et des configurations dissymétriques intéressantes. Grâce au ravitaillement en vol et au panier du ravitailleur, il offre de la transpiration et de l’adrénaline, des séjours dans des pays exotiques et… des crampes ou d’autres désagréments physiques que les vélivoles connaissent bien eux aussi, après trois heures de vol.

1975, le F-100 ‘avion de collection’

En 1975, avec un jeune pilote de l’escadron, nous faisons une percée d’entraînement en patrouille serrée et en langue anglaise sur la base de Lahr, tenue par les Canadiens.

Au moment où nous allons quitter le circuit d’aérodrome après la remise de gaz, la tour nous demande si nous pouvons refaire un passage, plus proche de la vigie. Craignant qu’ils aient remarqué quelque chose d’anormal sur nos avions, je questionne le contrôleur sur les raisons de sa demande.

1976: sous le regard impassible du Noratlas, l’invasion du 1/11 Roussillon par les Jaguar

« Notre Commandant de base, qui vous a regardés car nous lui avions signalé votre passage, a volé en France sur F-86. Il aime beaucoup les F-100. Comme il croyait qu’ils avaient disparu du ciel européen, il a demandé au service photo de la base d’essayer de vous filmer. Le cameraman vient seulement d’arriver à la tour. »

Avec l’équipier, nous avons arboré notre plus beau sourire et, aux commandes de nos « vieux tacots », nous avons fait un premier passage en patrouille serrée, puis un deuxième en formation de manoeuvre. La tour nous a chaleureusement remerciés pour notre coopération.

F104 1981 CAF808

CF-104 canadien en 1981: on est toujours ‘l’avion de collection’ de quelqu’un !

On s’est aimé, on se quitte

Mai 1975: la piste de Toul est en réfection et, pour quelques semaines, notre escadron campe à Nancy-Ochey sur la marguerite, la zone de desserrement, au nord-est.

Le 42122 du 2/11 Vosges, dernier F-100 piloté par Denis Turina …

Ce 26 mai, je décolle pour un vol de navigation à très basse altitude au profit d’un jeune pilote à l’instruction. Pour sortir des sentiers battus et augmenter un peu la difficulté, nous avons programmé de survoler la République Fédérale d’Allemagne (R.F.A.) sans, bien sûr, nous approcher du Rideau de fer qui est toujours actif et bien présent.

Au point de manoeuvre avant une mission vers la RFA, ici en janvier 1975 (photo Alain Crosnier)

Ayant eu la chance d’être vacciné très tôt contre les aléas du vol (*), à chaque installation dans un avion je pars du principe que je serai peut-être amené à rentrer à pieds ou par un autre moyen de transport que celui dans lequel je m’assied. Comme d’habitude, je prends donc le temps de mettre en bonne position et de bien caler le paquetage qui sert de coussin pour le siège éjectable. Ce paquetage, qui contient les moyens de survie du pilote, est prévu pour les survols maritimes. Il équipe en permanence cet avion qui, comme tous les avions ravitaillables en vol, peut être désigné pour partir en Afrique au coup de sifflet. Les autres F-100 sont généralement équipés du paquetage prévu pour les survols terrestres, plus confortable et mieux adapté au baquet du siège éjectable sur lequel nous sommes assis.

Le 42249 11-MF photographié par Alain Crosnier en janvier 1975 (‘Pedro’ aux commandes)

C’est parti. Le jeune pilote est en position de leader et, chacun dans son avion, nous survolons ensemble la France à 600 pieds, 420 nœuds. Je dois assurer la surveillance du ciel pour éviter une collision avec un des nombreux aéronefs qui survolent l’Est de la France et l’Allemagne, surveiller la navigation pour respecter les zones réglementées, et être en mesure de restituer avec précision le trajet que nous allons suivre. De quoi rester vigilant.

Passage du Rhin, contact avec l’organisme de contrôle français, changement de carte, et nous commençons à « escalader » la Forêt Noire.

Boum, c’est la post-combustion alors que la patrouille de F-100 fonce vers l’objectif (photo Alain Crosnier, janvier 1975)

Un coup de canon éclate à l’arrière. Je pars dans les bretelles du harnais qui me lient à l’avion. C’est un vrai coup de frein. Des bruits et des vibrations, très forts, arrivent de partout. L’adrénaline coule à flots… Instinctivement je tire sur le manche pour prendre de l’altitude, je réduis le régime du moteur et vire vers le Nord en direction de la base aérienne de Lahr, qui est à moins de 5 minutes de vol. Je pense être entré en collision avec un planeur ou avec un autre avion et j’essaie, sans succès, de prévenir mon équipier par la radio qui me semble hors service.

Dans la cabine, les alarmes des circuits électriques, l’alternatif et le continu, sont allumées. La température tuyère est très au dessus de la normale et la lampe « feu tuyère » est allumée. Contre toute raison je décide que, compte tenu des problèmes électriques, les indications de feu et de température ne sont pas fiables, que mes soucis viennent de la régulation du moteur qui continue de chanter, et de vibrer comme un marteau-piqueur. Mon souci devient alors de recycler le réacteur pour qu’il fonctionne à nouveau normalement. Quelque part, au fond de moi, une petite voix me dit que je me trompe, mais j’ai tellement envie de rejoindre la piste de Lahr, que je ne veux rien entendre qui pourrait contrecarrer mes projets.

Pendant ce temps, l’altitude que j’avais atteinte sur mon élan commence à diminuer. La vitesse diminue elle aussi, et le bruit de canon du compresseur qui a décroché est toujours là. Je réduis les gaz à fond, passe le régulateur moteur sur « secours » et avance la manette des gaz, doucement, très doucement, dans l’espoir que le moteur va reprendre son fonctionnement normal. Aucune amélioration.

Vu au dessus de la couche, le 42131 du 2/11 Vosges, en janvier 1975 (photo Alain Crosnier)

Ni la base de Lahr, ni mon équipier, ni personne d’autre n’a répondu à mes appels sur la fréquence de détresse. Je commence à me sentir bien seul, au moment où les sapins de la Forêt Noire grossissent dans la verrière. Je décide alors de couper le réacteur et d’essayer de le rallumer pendant que l’altitude restante le permet. La petite voix me dit que je suis devenu fou, que l’avion aurait déjà du exploser, mais je ne veux pas l’entendre.

Je coupe le réacteur en espérant que la température tuyère va descendre pour me permettre de rallumer sans trop de risque, mais de la fumée sort sous le tableau de bord. Je ne peux plus lire les instruments. C’est à cet instant seulement que je réalise la gravité de la situation et la bêtise de mon aveuglement.

Un rapide coup d’œil vers le bas me montre de la forêt. Aucune habitation n’est dans mon champ de vision, il n’y a donc aucun risque de faire de gros dégâts au sol. Je relève les accoudoirs du siège éjectable et actionne les détentes de mise à feu. Départ stressé, en catastrophe, avec le sentiment d’avoir outrepassé les consignes et de partir trop tard. Je sentais les morceaux de ferraille de l’avion qui explose, me rentrer dans les fesses.

La sortie se fait sans rideau devant les yeux. Je vois l’avion qui s’éloigne en rétrécissant, spectacle rassurant. Il est suivi par des gerbes d’étincelles de métal en fusion et par une grosse fumée noire.

« Je n’ai pas été transformé en chaleur et en lumière, et le moteur avait bien un gros problème ».

Coup d’œil en bas, c’est la Forêt Noire. Je ne vois ni signe de vie, ni habitation à proximité. Je me sens rassuré quant aux dégâts au sol. Coup d’œil en haut, j’ai un coup au moral. Le siège est emmailloté dans le parachute qui n’est ouvert qu’à moitié. La voile est brûlée et déchirée par endroits. Une double coupole presque symétrique ne me pousse pas non plus à l’optimisme. Il va falloir faire quelque chose.

Je jette un coup d’œil rapide en bas. Je m’estime à environ 500 mètres du sol et c’est mal pavé. Je vois de la forêt, des zones un peu déboisées, des souches, de la pente, un chemin forestier.

Mon avion plonge vers le sol et s’écrase dans la forêt. Le vent est très faible, comme le montre la fumée qui monte de l’épave. Un gros sentiment de colère et de ras-le-bol m’envahit:

« Encore une fois ». Avec, en plus, le sentiment de ne pas avoir bien compris tout ce qui m’arrive. Je pense au débriefing. Je n’aurai pas grand-chose à dire. « Aurait pu mieux faire ! ».

« Bof, je suis commandant en second d’escadron. Si on me cherche des poux je saurai me défendre. Pourvu que mon équipier n’ait pas de problèmes au-dessus de l’Allemagne et rentre à la maison normalement ».

« Ce n’est pas tout, mais la journée n’est pas finie ». J’ai en mémoire des histoires de pilotes que l’on a retrouvés blessés ou tués par leur siège qui ne s’était pas séparé correctement du parachute.

« Il faut que je vire ce siège ».

Je commence à grimper dans les suspentes, le siège ne bouge pas. Il semble avoir traversé la voile et parait bien ficelé. La voile est complètement déformée, la vitesse de descente me parait forte. Je fais une deuxième tentative, puis une troisième, sans plus de succès. Je comprends qu’il me faudra faire avec et arriver au sol comme ça. Une grosse colère me prend, née d’un sentiment d’injustice. « Je suis intact au bout de mes suspentes et je vais probablement me casser en arrivant au sol. Peut-être que, si je prends le siège sur la tête, je vais même y laisser ma peau. C’est trop injuste ».

J’ai une pensée éclair pour ma famille. Nous attendons notre troisième enfant. Une pensée pour le ciel, qui m’abandonne. J’ai l’impression d’être un peu « faux cul », si je fais une prière maintenant. Une pensée plus pragmatique arrive. « L’heure n’est ni à la philosophie, ni à l’attendrissement, mais à l’action ».

« Où me poser ? Dans les sapins qui pourront amortir l’impact au sol, mais aussi servir d’entonnoir pour amener le siège sur ma tête ? Dans les zones un peu déboisées, mais où les souches, que je commence à bien distinguer, peuvent faire très mal ? Sur le chemin forestier, là où le sol est à peu près plat et où on pourra me secourir plus facilement ? ». J’en oublie de larguer le paquetage de survie.

Je jette un coup d’œil en bas, tractionne pour contrôler le parachute et essayer encore de libérer le siège. La descente est vraiment très rapide et je n’arrive pas à me diriger. Dans les 100 derniers mètres, le sol me saute littéralement dessus. Je comprends et j’ai le pressentiment que c’est probablement la fin de la partie. A cette vitesse là, je ne peux pas m’en sortir.

La résignation fait place à la colère. Avec ou sans le siège sur la tête, c’est fichu. Je deviens très calme. Je cherche ce que je peux faire de ces dernières secondes. Je pense très vite :

« Je n’ai que 35 ans, il me restait encore beaucoup de choses à faire … C’est trop c…
– Je ne vais même pas me planter sur le sol français… ».

Puis :

« Tout d’abord, le pire n’est jamais sûr et j’ai environ 350 sauts en parachute à mon actif…
– Je peux amortir le coup. J’ai peur… Je vais avoir mal.
– Je suis prêt à tout, mais je ne veux pas finir comme un légume… »

Je dois prendre la position d’atterrissage que je connais bien et la tenir jusqu’à l’impact. Serrer les jambes et, au besoin, casser le bas de mon corps pour essayer de préserver le haut. Je ne vois rien d’autre à faire. Mais je vais avoir très mal.

En ‘courte finale’, je vois que je vais arriver en bordure du chemin forestier et que ce n’est peut-être pas si mauvais que ça pour les secours. Le sol arrive très vite. C’est la fin. Je me concentre sur la position et j’attends. Instants très désagréables que je cherche à positiver.

« A la vitesse à laquelle j’arrive, ça ne sera pas long.
– Où est-ce que je vais avoir mal ?
– Qu’est ce que je peux emporter ?
– Une dernière vision de la terre.
– C’est maintenant. J’y suis… Peut-être que je vais bientôt SAVOIR.

J’ai toujours en mémoire l’image du chemin et des cailloux qui ont « accueilli » mes chaussures.

Une douleur, énorme, dans le dos. Une douleur, très vive, à la main droite. Une douleur sourde à la cheville gauche, une douleur et du sang sur le genou droit. Du sang qui tombe, goutte à goutte, de ma tête sur mon pantalon anti-g.

Mon casque a été arraché. Je vois et je respire. J’ai mal. Je suis empilé, en boule, recouvert par mon parachute. Une première pensée consciente émerge doucement : « J’ai mal, donc je suis vivant ».

Toujours cette douleur, partout, mais surtout dans le dos. « Depuis combien de temps suis-je ici ? Je suis vivant, mais dans quel état ? Est-ce que je suis paralysé ? »

« Je vais essayer de bouger ».

« Non, car j’ai la colonne vertébrale cassée. Oui, car je suis en Allemagne. Si les secours arrivent je ne les verrai pas et comme, en plus, je ne parle pas leur langue, je ne pourrai pas leur faire comprendre qu’il ne faut pas me toucher. Quand ils enlèveront le parachute qui me recouvre et me ‘déplieront’, là, je serai paralysé, même si je ne le suis pas encore ».

De mon bras valide je dégage doucement le parachute et je vois des arbres. Une grosse bouffée de plaisir me calme et me rassure. Je me dégage un peu plus du parachute sans trop bouger mon buste et je vois que je suis au bord du chemin. Puis, JE ME REPOSE. Je ressens toujours cette douleur dans la colonne et à la main.

« Les secours ? Je n’ai pas entendu repasser l’avion de mon équipier. Il était devant moi, sans doute n’a-t-il rien vu, ni pu alerter qui que ce soit. Heureusement, l’épave fume. Elle est assez loin mais les habitants du coin savent qu’il y a eu un accident.».

Je réfléchis : « Il faut que je m’approche du chemin pour que l’on me voie du ciel ».

Je commence à bouger le buste et à envisager de me traîner au milieu du chemin pour pouvoir être vu et pour me signaler. Je bascule doucement sur le coté. La douleur est très forte.

Je prends un fumigène et cache, à même ma peau, les fréquences confidentielles et codées que nous utilisons. J’attrape un morceau du parachute et, en m’appuyant sur mon coude valide, je commence à ramper comme je peux, sur le chemin. Je fais deux ou trois mètres. La douleur est forte mais pas plus que quand je reste immobile.

Arrivé au milieu du chemin, je m’allonge complètement sur le dos. Un morceau du parachute est visible du ciel. J’essaye de remuer les jambes, pour voir. Je n’y arrive pas, c’est trop douloureux, mais j’arrive à remuer un peu les pieds. Je reprends confiance.

« Je ne peux pas être paralysé car j’ai trop mal aux jambes et je bouge mes pieds ».
J’ai l’impression d’avoir fait ce que je devais faire. JE ME REPOSE et j’attends.

Un bruit de moteur de voiture, un peu lointain. Des oiseaux qui chantent.
Si ce n’est la douleur, très forte, qui me tord le corps, la situation n’est pas trop mauvaise.

J’entends le bruit du moteur qui se rapproche.

[…]

Trois mois de plâtre, six mois d’état-major, dont deux comme chef de centre à Val d’Isère, un mois à Aulnat pour découvrir et apprendre les bases du métier de moniteur, avant de rejoindre l’École de l’air à Salon de Provence comme commandant d’escadron sur Fouga, sans siège éjectable (of course).

Les anciens pilotes de F-100 avaient souvent coutume de dire :

« Il existe deux catégories de pilotes de chasse: ceux qui ont piloté le F-100, et ceux qui regrettent de ne pas l’avoir piloté »

Trois éjections dont 2 en F-100, le livre de Denis Turina est juste sorti de presse, en vente chez votre libraire favori … Joyeux Noël, Denis !

Copyright: Denis Turina (texte adapté par Alexandre) et escadrilles.org
Règles de copyright

Remerciements: un grand merci à Alain Crosnier qui a bien voulu mettre à notre disposition plusieurs clichés air-air réalisés durant son vol en F-100F en 1975, ‘Pedro’ (que nous saluons) était leader.

(*) Allusion aux deux éjections précédentes de Denis, une en Mystère IV et une en F-100 …