Après une phase de développement chaotique au terme de laquelle les anglais ont (comme souvent) réussi à faire prévaloir leurs orientations (voir l’article relatif aux Eurofighter de la Luftwaffe), le Typhoon est formellement rentré en service dans la Royal Air Force à la mi-2003.
Les premiers avions, à l’origine des biplaces T1 très basiques, furent affectés au 17 (R) squadron, stationné à Warton dans un rôle d’Operational Evaluation Unit (OEU) qu’il reprendra une dizaine d’années plus tard pour le F-35B.
L’unité s’est donc lancée dans le programme ‘Case White’ , avec pour objectif de préparer l’introduction de l’avion dans les formations de première ligne, mettre en place les procédures, et à compter de début 2004, entraîner pilotes, instructeurs et personnel au sol. Elle sera en outre progressivement chargée de la validation de l’évolution du système et des armements associés.
Ses pilotes, très expérimentés, ont réalisé des tours en échange sur F-16 et F/A-18, afin d’acquérir une expérience préalable maximale sur un avion monoplace d’une technologie raisonnablement avancée. Cette précaution s’est avérée nécessaire dès lors que le prédécesseur du Typhoon, le Tornado F3 (Air Defence Variant – ADV) est un système d’arme qui ne se conçoit qu’en équipage, à l’instar par exemple du F-14 Tomcat.
Typhoon du 3 Sqn atterrit en utilisant le parachute frein. C’est une procédure non standard, mais à laquelle les pilotes s’entraînent périodiquement.
A partir de Mai 2005, le 17 sqn déménagea à Coningsby (Lincolnshire), destinée à devenir la première station britannique opérationnelle à accueillir le Typhoon. Cette base historique du Bomber Command (des Lancaster y ont été basés pendant la seconde Guerre Mondiale), ayant aussi accueilli des Vulcan, s’est depuis lors convertie à l’Air Defence, puisque depuis lors, elle a hébergé des Phantom puis des Tornado F3.
C’est un des squadrons résidents, le 29, qui fut désigné pour abandonner le premier ses Tornado, et pour devenir l’Operational Conversion Unit (OCU), chargée de transformer sur Typhoon d’anciens cochers du chasseur de chez Panavia, puis ab initio des rookies tout juste sortis de Hawk, et des étrangers (saoudiens notamment).
Ses 14 instructeurs commencèrent les classes de conversion à compter de début 2006. En avril 2006, les pilotes fraîchement formés par le 29(R) furent aussitôt affectés au 3(F), anciennement sur Harrier GR7 à Cottesmore, après avoir, en d’autres temps, fait les beaux jours de la RAF Germany.
Cette première unité opérationnelle fut suivie en octobre de la même année par le XI(F) (auparavant sur Tornado F3, à Leeming) qui devint alors son voisin dans les shelters au sud de la piste 07-25.
Les avions étaient issus de la tranche 1, soit quasi-exclusivement des avions d’Air Defence, comme l’étaient les Rafale à peu près à la même époque. Selon la nomenclature de la RAF, les biplaces portent alors la désignation T1, les monoplaces F2.
A partir de juin 2007, tous les aéronefs livrés (au nombre de 53) furent rétrofités et portés au niveau ‘block 5’ , qui leur permit de bénéficier d’une capacité air-sol limitée, et d’acquérir le senseur Pirate (Passive Infra Red Airborne Tracking Equipment), absent des premières versions. Ce système de détection passive donne le moyen de détecter les hostiles sans se faire soi-même identifier par ses propres émissions radar.
Un Typhoon T3 du 29 Sqn : c’est un T1 rétrofité avec des capacités air-sol (voir le pod Litening en point central)
Les avions de ce block sont ainsi sont en théorie capables d’emporter jusqu’à 6 bombes laser Paveway de 454 kg couplées à un pod de désignation Litening … C’est du moins ce qu’indique la plaquette du constructeur, et la configuration présentée en démonstration. La pratique semble toute autre, puisque l’emport opérationnel semble limité à deux bombes.
Un avion du 29 Sqn en courte avec 28 silhouettes de bombes, souvenir de l’opération Ellamy. Vous avez dit marketing ?
Quoi qu’il en soit, ces muds a minima, les tranche 1-block 5, côtoyèrent donc un temps en unité les 89 Typhoon de la tranche 2, qui ne ne bénéficiaient pas de cette petite capacité air-sol. Mais ces derniers ont depuis lors eux aussi fait l’objet d’un rétrofit. Pour bien marquer ces améliorations, les avions sont redésignés T3 pour les biplaces et FGR4 pour les monoplaces. Aux dernières nouvelles, les avions de la tranche 3, livrés à partir de fin 2013- début 2014 gardent cette désignation en T3 et FGR4.
Contrairement à leurs prédécesseurs, les avions de la tranche 3 sont prévus pour être dotés d’un radar à balayage électronique, d’un viseur de casque et peuvent passer d’une configuration air–air à air–sol (ou inversement), en cours de mission, sans nécessité de reconfiguration des systèmes (c’est le concept de ‘swing role’ cher aux Rafale). Le radar AESA ‘CaptorE’ a vu son contrat d’intégration signé en fin d’année dernière, c’est donc une évolution possible pour la T-3, qui se trouve en production actuellement.
Fin-juillet 2007, les Typhoon prirent pour la première fois à leur compte la Quick Reaction Alert (QRA) sud, remplaçant dans ce rôle les Tornado ADV stationnés à Leeming.
Pour assurer cette permanence opérationnelle, la configuration standard est très lourde : 2 réservoirs supplémentaires de 1000 litres, le canon Mauser de 27 mm, 4 ASRAAM sous les ailes, 4 AMRAAM sous le fuselage (ou des Meteor, à partir de la fin de la décennie). Il convient de noter que contrairement à certains pays comme l’Allemagne et la Belgique (et dans une certaine mesure la France), la QRA britannique ne décolle pas quotidiennement, à des fins d’entraînement. Quand elle bouge, c’est que quelque chose se passe, et les missions peuvent être longues et impliquer un ou plusieurs ravitaillements en vol.
La deuxième étape du remplacement du Tornado F3 se réalisa en septembre 2009, lorsque cinq Typhoon se mirent à assurer le détachement permanent entretenu par la RAF à Mount Pleasant, aux Malouines.
Enfin, la transition devint définitive lorsqu’en septembre 2010, le 6 Sqn (les fameux Flying Can Openers, autrefois sur Jaguar) s’équipa à son tour, pour s’installer en Ecosse, à Leuchars, à la place des Tornado des 43 et 111 Sqn, eux aussi disparus.
Trois ans plus tard, il fut suivi par le 1(F) Sqn (le First Fighter, recréé après avoir remisé ses Harrier à Cottesmore), avant que les avions ne migrent encore plus au nord, à Lossiemouth. Rejointes début 2015 par le II(AC), ex Tornado GR4, qui monte graduellement en puissance, ces formations se chargent de la QRA Nord, à l’occasion de laquelle elles ont l’occasion de se frotter aux Bear russes, fréquemment en maraude.
Afin d’être parfaitement complet sur ce tour d’horizon des unités sur Typhoon, il convient de rappeler l’existence du 41(R) Sqn, ayant repris depuis avril 2013 les missions du 17, puisque ce dernier, posté aux Etats-Unis, a la lourde tâche de préparer l’introduction du F-35 dans la RAF et la Fleet Air Arm.
Un Typhoon du II(AC) remonte le taxiway vers la piste 05, tandis qu’un Tornado employé par XV Sqn (OCU) – même si aux couleurs du 31 – décolle
Le squadron 41 fait actuellement voler, depuis Coningsby, une flotte mixte de Tyfies et de Tornado GR4, afin notamment d’étudier l’interaction entre ces deux vecteurs, amenés à travailler ensemble, on le verra.
17 (OEU) | Warton puis Coningsby (2005) | 2003 – 2013 |
29 (R) | Coningsby | Depuis début 2006 |
3 (F) | Coningsby | Depuis avril 2006 |
XI (F) | Coningsby | Depuis octobre 2006 |
1435 Flight | Mount Pleasant (Falklands) | Depuis septembre 2009 |
6 | Leuchars puis Lossie (2014) | Depuis septembre 2010 |
1 (F) | Leuchars puis Lossie (2014) | Depuis septembre 2012 |
41 (R) | Coningsby | Depuis 2013 |
II (AC) | Lossiemouth | Depuis début 2015 |
Au terme d’une décennie de service, les Typhoon britanniques arrivent doucement à maturité : tous les squadrons destinés à le recevoir en sont maintenant dotés. Dès lors que les 53 premiers avions, issus de la tranche 1, sont destinés à être retirés entre 2015 et 2018, la RAF disposera d’une flotte de 107 Typhoon, en service dans 5 squadrons opérationnels jusque l’horizon 2030. Pas plus.
En effet, les divers Strategic Defence and Security Review (SDSR) ont conduit, sur un simple raisonnement comptable, à ce que la RAF renonce notamment à 72 des avions de la tranche 3 qu’elle prévoyait initialement d’acquérir, et en contrepartie remplacer les standards plus anciens (F1) par les plus récents (F2 et F3).
Le gouvernement britannique suit donc ses homologues allemands, espagnols et italiens, au risque que les chaînes de montage de l’avion s’arrêtent assez rapidement, à moins d’un surcroît de commandes saoudiennes…ou d’un revirement indien, par exemple …
Reste que 107 avions, c’est peu, comparativement aux 232 prévus au départ. Les dividendes de la paix sont passés par là.
C’est trop peu, si l’on en croit certaines voix venant d’Angleterre, qui rappellent que cinq squadrons, c’est le strict minimum pour que la Royal Air Force réussisse à tenir ses engagements s’agissant de la défense aérienne du territoire et de celle des Falklands. En effet, chaque mission de QRA requiert 4 avions (2 en permanence, 2 en réserve), soit si l’on fait la somme des moyens nécessaires pour les deux QRA britanniques (Nord et Sud), ainsi que celle des Malouines, la valeur de deux squadrons (en tenant compte d’un taux de disponibilité moyen).
Tyfie du 29 sqn décoré pour célébrer les 75 ans de la bataille d’Angleterre. Aux marquages du 249 Sqn, sur Hurricane, dont était membre le Flt Lt James Brindley Nicolson, seul pilote de la RAF ayant obtenu la Victoria Cross pendant la Bataille d’Angleterre. Blessé au combat, il n’a pas rompu la formation et a abattu un Messerchmitt.
Les trois autres sont alors nécessaires pour assurer les autres missions et l’entraînement, ce qui rend leur déploiement sur les théâtres d’opérations extérieures physiquement difficile. C’est sans doute une des raisons principales expliquant pourquoi les Typhoon britanniques ont été jusqu’à maintenant quasi essentiellement cantonnés à de l’Air Defence. Il n’y en a juste pas assez pour les employer sur d’autres missions, et les déployer.
C’est également ce qui justifie pourquoi les développements air-sol de l’avion ont été repoussés au maximum, quitte à multiplier les bricolages, en crash programme. D’où l’annulation de son envoi pour un tour en Afghanistan en 2008.
Les défunts Harrier s’en sont chargés à sa place, équipés de munitions en outre plus adaptées aux strictes règles d’engagement de ce théâtre que les grosses Paveway II.
De la même façon, lors de l’intervention en Libye de 2011, dix Typhoon (aux couleurs des 3, 11 et 29 Squadrons) ont été déployés en Italie, à Giaoa Del Colle. Mais les missions de ce 906 Expeditionary Air Wing se limitaient à l’origine à faire respecter la No Fly Zone instaurée par la résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l’ONU: de l’Air Defence, là aussi, l’Air to Ground étant quant à lui assumé par les Tornado de Marham, également basés en Italie.
A partir d’avril, les choses changèrent un peu ce qui permit alors aux avions de Coningsby d’arborer des marquages de bombes, à leur retour en Angleterre. Ils en ont tiré une centaine. Vraie nécessité opérationnelle, en présence des Tornado, ou petit coup marketing, pour rappeler aux acheteurs potentiels que l’avion est réputé multi -missions ?
Il est permis de (ne pas) se poser la question.
En tout cas, les Typhoon ne sont plus sortis depuis, alors que le Rafale guerroie sans relâche en Afrique, en Syrie et en Irak, faisant de lui un système ‘combat proven’, de fait respecté, et en conséquence, séduisant pour des acheteurs potentiels. On en a eu récemment l’illustration.
Flagship du 6 Sqn. Les Flying Can Openers ont connu leur heure de gloire lors de la seconde guerre mondiale, en des contrées désertiques …
Cela dit, il devient urgent pour les Britanniques de développer les capacités air-sol du Typhoon, dès lors que les Harrier ont été brutalement mis au rebus en 2010, au terme d’une logique là aussi strictement comptable, et que les Tornado voient leurs effectifs fondre comme neige au soleil.
A terme, la RAF devra compter sur 107 Typhoon et 48 F-35 pour réaliser toutes les missions qui lui sont dévolues (flotte mixte RAF/FAA pour ces derniers). Les deux avions devront donc travailler ensemble.
Depuis un moment, la RAF pratique les missions conjointes à deux avions différents, ce qui permet de prendre les points forts de chacun, la panacée n’existant pas sous les cocardes britanniques.
C’est ainsi qu’en Libye, les Tornado jouaient leur rôle de camions à bombes (avec une variété importante de munitions, du Storm Shadow au Brimstone), alors que les Typhoon leur servaient d’escorteurs, mais aussi de mini-Awacs, avec leurs capteurs beaucoup plus modernes leur donnant un bien meilleur renseignement de l’état d’un environnement complexe.
Tornado GR4 du 41 Sqn, avec 5 BGL. La RAF est très intéressée par le concept d’interopérabilité, notamment Tornado/Typhoon. Le 41 est chargé d’étudier la question.
Les Tornado partis, que se passera-t-il ?
Un Typhoon chargé d’armement air-sol, escorté par un F-35 (dont il serait alors permis d’espérer que la qualité des capteurs compensera ses capacités d’évolution limitées) ?
A première vue, cette idée peut surprendre: le Typhoon était prévu initialement pour la défense aérienne, et le F-35 pour du strike. Mais elle est sérieusement envisagée en Angleterre …
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