Si dans le passé, la formation initiale du chasseur a pu manquer de lisibilité, ce n’était plus le cas depuis la standardisation du cursus élémentaire sur la base de deux avions (Cirrus SR-20 à Salon et Grob 120A-F à Cognac). L’entrée en service du Pilatus pour la phase spécialisation ‘chasse’ a ensuite pallié les obsolescences dues à l’ancienneté des Epsilon, avion qui de plus faisait un peu doublon avec les Grob au niveau des performances (voir article précédent).
Le système PC-21, au coeur du programme ‘Cognac 2016’, donne entière satisfaction. La première promotion a inauguré le nouveau cursus au printemps 2019 : exit le passage sur Alphajet à Tours pour ces nouveaux chasseurs. Ces derniers effectuent désormais à Cognac un volume de missions aériennes équivalent à 135 heures de vol pendant 12 mois, sur Pilatus. L’EAC de Tours sera d’ailleurs fermée prochainement.
L’ancien système offrait une certaine redondance, puisqu’après la phase 3, les jeunes pilotes de chasse retrouvaient l’Alphajet pour la phase ‘Transition opérationnelle’, à la 8ème Escadre de Cazaux. Cette ‘phase 4’ consiste en l’apprentissage de l’emploi opérationnel de l’aviation de combat. Elle s’organise actuellement à l’intérieur d’un cursus de 8 mois comprenant un volume de 50 heures de vol.
Le système actuel comprend encore cette phase ‘Cazaux’, laquelle est devenue pour quelque temps la seule étape où le jeune pilote de chasse pilote un avion à réaction, avant de rejoindre une unité de conversion où il apprendra à piloter son avion de combat (la phase 5 en quelque sorte). Même si le PC-21 est un ‘turbo-prop’ performant, ses caractéristiques de vol sont loin d’égaler celles d’un ‘réacteur’ à aile en flèche comme le Hawk ou l’Alphajet (voir cet article).
Alors que le remplacement du TB-30 par le PC-21 n’était qu’une modernisation, importante certes, le remplacement de l’Alphajet par le PC-21 pour la phase 4 ‘ETO’ est, pesons les mots, une révolution. A l’heure actuelle, deux forces aériennes appliquent un cursus comprenant une transition directe PC-21/avion de combat : la suisse et l’australienne. Plusieurs pays d’Europe occidentale confient la formation des jeunes chasseurs au système OTAN basé aux USA, avec une articulation classique ‘turbo-prop/jet avancé’. Cette formation est réalisée au 80th Flying Training Wing de Sheppard AFB, sur Beech T-6 Texan 2 et Northrop T-38 (un avion ancien et rénové qui sera remplacé d’ici quelques années).
Pour ce qui est des pays plus grands, mis à part l’Allemagne qui fait partie du peloton précédent, l’Espagne, l’Italie et la Grande-Bretagne gardent la main sur leur système de formation, en conservant une articulation ‘turbo-prop/réacteur’ avant l’apprentissage de l’avion de combat. C’est aussi en ce sens que la démarche française peut être qualifiée de révolutionnaire : ces trois autres pays, ainsi que les adeptes de la formation OTAN, sont-ils en retard ou ont-ils des raisons pour conserver un cursus classique ?
La Royal Air Force, utile point de comparaison pour la force aérienne française, organise son ‘Fast Jet Training’ sur la base de Valley, avec un escadron de Beech T-6 (turbo-prop qui vient juste de remplacer le Short Tucano), c’est la phase ‘Basic FJT’, et deux escadrons de Hawk T-2, cellule récente issue du célèbre Hawk pour la phase ‘Advanced FJT’. Observons au passage que la phase 2 britannique est conduite avec des Grob 120ETP ; par ailleurs, notons aussi que le cursus de formation des pilotes militaires britanniques est externalisé.
La formation actuelle donnant satisfaction sur le plan de la ‘qualité’ des pilotes de chasse français, la réforme est motivée par une volonté de réduction des coûts et de raccourcissement de la phase d’apprentissage. La révolution prévue en matière de formation des pilotes de chasse est évidemment une simplification, puisque l’on supprime l’apprentissage d’un avion dans le cursus total.
On peut cependant observer que la suppression de l’étape ‘réacteur’ dans la formation commune des pilotes de chasse entraînera inévitablement un nombre supplémentaire de missions de formation dans les escadrons de conversion opérationnelle sur Mirage 2000 et Rafale. Pour ce qui est du premier, la flotte de 2000B est numériquement sous contrainte, et doit être opérationnelle encore au moins 10 ans (2030 étant une date citée pour la mise à la retraite des 2000D). Pour ce qui est du second, les commentateurs se font régulièrement l’écho du suremploi des Rafale B, en faisant référence à la formation des pilotes étrangers.
Toutes les révolutions comportent une part d’inconnu, c’est même à ça qu’on les reconnait, et celle-ci ne fait pas exception. Parmi les indicateurs qu’il conviendra d’observer, celui des échecs, ou réorientations, en cours de formation : plus un échec est tardif plus il est coûteux. Cette généralité vaut d’autant plus pour les jeunes pilotes de chasse que plus on avance dans le cursus plus les heures de vol coûtent cher. On voit les chiffres de 1500 euros par heure pour le PC-21, 5000 euros pour l’Alphajet, et 20 000 euros pour le Rafale, … mais il faut se méfier comme de la peste des coûts horaires affichés des aéronefs militaires. A l’heure actuelle, les échecs au cours des phases 4 et 5 de la formation des pilotes de chasse sont … rares.
Un autre indicateur, très critique celui-là, est celui des accidents aériens : la ‘norme’ est de un pour 100 000 heures de vol dans les forces aériennes occidentales, actuellement. Souhaitons que le nouveau système n’ait pas d’impact sur ce plan-là ; à l’heure actuelle les accidents aériens sont très rares dans l’aviation de chasse française (moins de un par an).
Les décideurs ont conclu que les performances du ‘porteur’ étaient en quelque sorte secondaires vis-à-vis de la nécessité de mettre le jeune pilote de chasse au contact d’un ‘système’ qui reproduit la présentation des informations foisonnantes arrivant dans le cockpit d’un avion militaire moderne et qui permet de simuler le pilotage d’un avion comme le Rafale.
Pour remplacer les Alphajet de Cazaux, ‘trop coûteux’ à l’entretien et dépassés au niveau de l’avionique (à l’exception notable des avions belges encore présents jusqu’en 2021), l’Armée de l’Air a tranché et n’a pas opté pour un avion à réaction de la génération Rafale, comme le M.346 italien ou le T.50 coréen, pour des raisons de coût, ou plus exactement de financement.
Si dans le futur les résultats du système PC-21/avion de combat n’étaient pas à hauteur des espérances, il faut savoir que la révolution qui s’avance n’est pas sans retour, puisque le marché public en question porte sur une durée de 140 mois.
Alexandre et escadrilles.org