Depuis que les autres avionneurs européens (et même US) se sont transformés en conglomérats plus ou moins bien définis et plus ou moins stables, il reste entre l’Atlantique et le Niémen deux constructeurs capables de concevoir et manufacturer un avion de chasse: SAAB est le second.
Ceux qui à l’ouest du Rhin regardent l’avionneur suédois avec condescendance ont bien tort: si les succès à l’export du Draken furent infiniment moindres que ceux du Mirage III, les contrats remportés par le Gripen dépassent infiniment ceux du Rafale, puisque cinq pays ont adopté le monoréacteur de SAAB (et même six, si la votation helvète n’avait pas été fatale au contrat suisse).
Si le Gripen remporte ces succès, c’est naturellement qu’il a des atouts certains en terme de rapport qualité/prix, et qu’il est placé sur la niche qui fit autrefois le succès des monoréacteurs de Dassault. Paradoxalement, le Gripen n’est pas la conception la plus originale qui soit sortie des buraux d’étude suédois: le JAS-39 est un produit de l’après-guerre froide destiné à un pays qui compte ses sous, et où un premier ministre peut être démissionné parce qu’il s’est acheté une paire de chaussures avec la carte de crédit du travail.
SAAB doit son essor à l’inventivité intelligente de ses ingénieurs qui dès la seconde guerre mondiale, et profitant d’une santé économique liée à une neutralité habilement négociée, conçurent des chasseurs d’un niveau de performance suffisant pour susciter l’intérêt de la Svenske Flygvapnet, tel le J-21R, bipoutre à réaction (produit à 64 ex et utilisé de 1950 à 1956). Ce qui n’empêcha pas l’armée de l’air suédoise d’acheter des chasseurs britanniques à plusieurs reprises, tels le Venom ou le Hunter.
On peut dire que le premier véritable succès de SAAB fut le J-29 Tunnan, un monoréacteur contemporain des MiG, Sabre et autres Mystère. Chasseur performant, le Tunnan fut exporté en Autriche … et l’ONU l’utilisa pendant la guerre du Biafra. Il fut produit de 1949 (prototypes) à 1955 (J-29E). Les J-29F restèrent en service jusqu’en 1974.
Pour propulser leurs avions, les Suédois prirent dès le début le parti de se reposer sur la production sous licence de réacteurs anglais ou américains, Volvo Flygmotor se chargeant d’en développer localement des variantes. Ainsi, pour l’avion suivant, le J-32 Lansen, la propulsion fut assurée par un Rolls Royce Avon, localement développé sous le nom de Volvo RM-6A. Le Lansen fut produit de 1952 (prototype) à 1960 (J-32B) et servit jusqu’en 1997 (version électronique J-32E).
Pour le J-35 Draken, ce fut un RM-6B ou C qui fournit la poussée. Ce double-delta unique en son genre fut produit de 1955 (prototype) à 1972 (J-35F). Jouissant d’excellentes performances, le petit chasseur (12 tonnes de poids maxi au décollage) avait cependant en face de lui un concurrent redoutable, le Mirage III. Il trouva quand même des clients à l’export en Finlande et au Danemark, et le dernier pays à l’utiliser fut l’Autriche, jusqu’en 2005.
Avec le Viggen, les ingénieurs de SAAB continuèrent à oser des formules originales: après le double-delta, le delta canard. Les Suédois se tournèrent cette fois vers des licences de moteurs US, avec le RM-8A/B (développé par Volvo à partir du P&W JT-8D). Le J-37 dans ses différentes versions était déjà un poids moyen (jusqu’à 20 tonnes).
Le Viggen, un avion complexe, ne trouva pas de débouché à l’exportation: comme le F-1 il se heurta à la suprématie du F-16. Les derniers JA-37 furent retirés de la force aérienne suédoise en 2004, quelques avions électroniques SK-37E continuant à voler quelque temps.
Avec le JAS-39 Gripen, SAAB fait un retour vers les poids légers (au moins pour les modèles A à D), un bon calcul puisque l’avion a déjà trouvé 4 débouchés à l’export (Afrique du Sud, Thailande, Hongrie, Tchéquie), plus le Brésil qui s’apprête à en commander 36. Mais l’exportation du Gripen pourrait souffrir de sa motorisation avec une version locale de GE F-404 ou F-414 (Gripen E/F), dès lors que les Suédois feront de l’ombre aux Etats-Unis.
En effet, la concurrence pousse SAAB vers plus de poids et plus de haute technologie, ce qui a un coût: le prix du JAS-39 futur peut avoisiner celui de F-16 haut de gamme. Il faudra à la Suède bien des qualités de persuasion pour vendre son poulain lorsqu’il y aura Lockheed-Martin en face.
On peut néanmoins parier que le Gripen trouvera encore des débouchés à l’export, profitant d’une niche qui a été abandonnée par Dassault, après lui avoir bien profité.
Copyright: Alexandre et escadrilles.org
Acknowledgments: to SAAB for free internet access to air2air photographs.