C’est dans le travail parlementaire du Député François Cornut-Gentille que nous trouvons les données sur la disponibilité technique des aéronefs, paramètre primordial pour l’activité opérationnelle.
Les chiffres donnés sont ceux de la disponibilité technique (DT), c’est-à-dire le pourcentage annuel moyen des appareils en état d’effectuer une mission, calculé sur l’ensemble de la flotte concernée. Par exemple, si on dispose de 100 Mirage avec une disponibilité technique de 40%, cela signifie qu’en moyenne chaque jour 40 avions peuvent réaliser un vol opérationnel. (On ne rentrera pas dans le débat sur la validité de l’autre indicateur parfois utilisé, celui de la disponibilité technique opérationnelle)
Encore un point avant d’aborder les chiffres proprement dits: il est normal que dans une flotte, la DT soit nettement inférieure à 100%. En effet, pour une flotte bien gérée, on a toujours une proportion d’aéronefs stockés ou en réserve d’attrition, disons par exemple 10%.
D’autre part, la plupart des aéronefs anciens suivent des chantiers de rénovation ou de modernisation, et ils passent également périodiquement en ‘grande visite’: tablons encore sur 10% d’immobilisés.
Enfin, il est normal qu’une proportion de la flotte, 2 ou 3 aéronefs par escadron, soit en entretien programmé en unité ou en petite réparation (collision volatile, incidents divers). Imaginons que cela concerne un autre 10% de la flotte.
En prenant ces hypothèses, un taux de disponibilité technique de 70% peut être qualifié d’excellent. Il peut être atteint si l’aéronef est au point, pas trop neuf, pas vieux, s’il est bien piloté, si son entretien est assuré par un personnel compétent et suffisamment nombreux, disposant des outillages et des pièces détachées dans un délai court. Enfin, s’il n’y a pas de frein organique pour entraver une logistique de maintenance fluide. Une DT de 70% sera donc notre horizon.
Selon les données figurant dans le rapport de Monsieur Cornut-Gentille, le seul aéronef approchant cette disponibilité en 2014 est le Dassault Mystère 20 Gardian de l’Aéronavale (flotte de 5 avions de la 25F en outremer), avec 65%.
Regardons d’abord les données pour la flotte d’hélicoptères (hors Marine): les meilleures DT sont obtenues pour les Caïman TTH (53%) et les vénérables Gazelle, et les pires pour les Cougar et les Tigres (17%)
Appareil | Nombre | Disponibilité | Remarque |
---|---|---|---|
Caïman Terre | 13 | 53,0 % | |
Puma | 120 | 34,0 % | commun Air et Terre |
Cougar | 28 | 14,5 % | réno en cours |
Caracal | 19 | 35,9 % | |
Tigre | 44 | 17,4 % | changement de standard |
Gazelle | 124 | 44,8 % | |
Fennec | 58 | 42,4 % | commun Air et Terre |
(Données extraites de l’annexe 11 du rapport 3110 sur le PLF 2016 écrit par M. le Député François Cornut-Gentille)
Le constat est grave pour l’Armée de Terre … d’autant que sa bête de somme, le Puma, est lui aussi à la peine (34% de DT). Sale temps pour les félins de chez Eurocopter, toutes générations confondues.
Passons ensuite aux aéronefs marins, où mis à part le Gardian, une DT moyenne (49%) est obtenue pour le duo Panther-Dauphin (27 hélicoptères au total) et aussi le Rafale (47%). Pour ce dernier, cette valeur intègre le fait que la plupart des premiers avions (1 à 10) étaient immobilisés fin-2014, en cours de rétrofit au standard F3.
Appareil | Nombre | Disponibilité | Remarque |
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Rafale Marine | 35 | 46,6 % | standard F1 immobilisés |
SEM | 21 | 26,8 % | une seule unité active |
Atlantique | 23 | 25.0 % | des avions en stockage long |
Gardian | 5 | 65,0 % | |
Hawkeye | 3 | 24,7 % | pb de corrosion sur un avion |
Lynx | 20 | 22,9 % | des hélicos en stockage long |
Panther-Dauphin | 27 | 49,5 % | |
Caïman Marine | 13 | 33,7 % | pb de corrosion apparus |
(Données extraites de l’annexe 11 du rapport 3110 sur le PLF 2016 écrit par M. le Député François Cornut-Gentille)
Lynx, Atlantique et Hawkeye (respectivement 20, 23 et 3 appareils) souffrent par contre d’un sérieux déficit de disponibilité, avec moins d’un aéronef sur quatre disponible. Mais dans les deux premiers cas une bonne proportion de la flotte est en stockage long.
Le Caïman Marine (13 hélicoptères livrés fin-2014) souffre d’une dispo faible (34%) et décroissante depuis 2012.
Dans l’Armée de l’Air, trois types d’avions opérationnels frôlent les 50% de disponibilité: le Boeing E-3 (4 avions en parc), le 2000C (15 avions restants), et le Rafale (93 avions sur les registres). Observons que le 2000-5F affiche une disponibilité médiocre de 37% (des avions en stockage long).
Seul le CASA 235 affiche une dispo supérieure à 50%, les deux autres transporteurs tactiques connaissant de sérieux problèmes de maintenance, avec 40% de DT pour le Transall (28 avions restants en 2014) et 29% pour le Hercules (14 appareils appelés à durer).
Appareil | Nombre | Disponibilité | Remarque |
---|---|---|---|
C-160G | 2 | 36,8 % | un avion en réno ? |
E-3F | 4 | 46,7 % | chantier de réno |
C-130H | 14 | 28,8 % | chantier de réno |
C-160R | 28 | 40,1 % | déflation du parc |
CN-235 | 27 | 55,6 % | deux lots dont un récent |
Rafale Air | 93 | 47,7 % | |
2000D | 73 | 38,7 % | réno prévue pour 55 avions |
2000-5 | 29 | 37,5 % | des avions en stockage long |
2000C | 15 | 46,3 % | déflation prévue d’ici 2020 |
2000B | 7 | 41,7 % |
(Données extraites de l’annexe 11 du rapport 3110 sur le PLF 2016 écrit par M. le Député François Cornut-Gentille)
La disponibilité moyenne dans l’Armée de l’Air (hors hélicos) avoisine les 42%, pour 37% dans la Marine Nationale et 35% dans l’Armée de Terre. Mis à part le Caïman Terre et les Panther et Dauphin, on constate que les voilures tournantes affichent une disponibilité médiocre (35%) en moyenne. Voler au ras des flots ou au ras des sables n’est pas bon pour ces mécaniques complexes.
Voilà donc pour les chiffres.
Même s’il y a des officiers de haut rang dont la fonction est de s’interroger sur le ‘pourquoi’ de ces disponibilités médiocres, cela n’empêche pas un simple citoyen français de tenir un raisonnement, et de le partager.
Les aéronefs en parc sont-ils au point ? En général oui, mais pas tous. La presse s’est fait l’écho de problèmes de qualité de fabrication pour certaines voilures tournantes toutes neuves. L’entrée en service d’un nouvel aéronef génère toujours des statistiques de disponibilité décevantes.
Certains aéronefs sont-ils trop vieux pour avoir une bonne disponibilité ? Quand 30 ans d’âge devient la norme, il ne faut pas s’étonner que certaines pièces détachées ne soient ni disponibles (stock de rechange épuisé) ni en fabrication. C’est particulièrement vrai pour les systèmes électroniques et numériques.
Les radars sont parmi les équipements les plus difficiles à entretenir quand les décennies s’écoulent (ici un F-1CT)
Par conséquent, si l’avion n’a pas été l’objet d’une mise à niveau ou d’un ‘traitement d’obsolescences’ à mi-vie, certains rechanges peuvent tout simplement être introuvables.
Les aéronefs sont-ils bien pilotés ? Ou employés dans des missions pour lesquels ils étaient prévus au départ ? Le taux d’accident aérien n’a jamais été aussi faible, ce qui démontre que l’application des principes de sécurité des vols est portée au plus haut dans notre pays. Par contre, hélicoptères et avions souffrent d’être employés dans des zones où sable et poussières sont omniprésents.
Le personnel technique est-il compétent et assez nombreux ? Il n’y a eu aucune diminution de la qualité de la formation des techniciens aéronautiques des armées. Le recrutement se fait dans un ‘vivier’ national de personnes intelligentes et motivées.
Les coupes drastiques dans les effectifs des armées ont-elles atteint le personnel de maintenance de manière significative ? Les chefs d’état-major sont issus des opérationnels; ils savent parfaitement que des coupes dans le personnel de maintenance affecteraient rapidement la disponibilité des appareils.
Les outillages et les pièces détachées sont-ils disponibles dans un délai court, de sorte à ne pas impacter les opérations d’une flotte ? Les outillages sont approvisionnés auprès de l’industriel au début du cycle d’acquisition: un déficit d’outillage ne peut éventuellement affecter qu’un appareil neuf. Et il y en a peu.
Dans le cas d’un appareil récent, comme le Rafale, il se peut que des rechanges critiques n’aient pas été approvisionnés en quantité suffisante, faute d’un budget d’acquisition suffisant. Ou qu’un industriel ait fourni des équipements peu fiables en opérations.
Dans le cas d’un aéronef ancien, comme le Transall ou le même le 2000N, des rechanges devenus indisponibles au fil du temps peuvent être impossibles à trouver, les appareils sont alors retirés du service. Ou bien les techniciens sont obligés de procéder par cannibalisation d’un autre appareil.
Certains appareils peuvent se voir ainsi ‘dépiautés’ et devenir des pensionnaires longue durée des hangars. La cannibalisation d’un aéronef en service, voire même récent, génère un doublement voire un triplement du temps de travail des techniciens. Ils adorent.
Y-a-t-il des raisons organiques qui entravent la bonne maintenance des appareils ? Les trois armées ont des organisations différentes de la maintenance sur site; pourtant, la disponibilité est médiocre dans l’ensemble.
La SIMMAD (Structure Intégrée de Maintien en Condition Opérationnelle des Matériels Aéronautiques () de la Défense), qui gère 1228 aéronefs de 46 types différents a été créée en 2000. Or, on constate que c’est sur les six dernières années, bien postérieures à l’instauration du système centralisé, que la disponibilité de la plupart des aéronefs a décru.
La structure organique de la maintenance – la tuyauterie – n’étant pas en cause, c’est donc la ‘pression dans les tuyaux’ qui n’est pas suffisante pour approvisionner les techniciens en rechanges et assurer une bonne disponibilité.
Selon la réponse faite à une question du Député François Cornut-Gentille, en 2014, les seuls aéronefs de l’Armée de l’Air ont consommé des crédits de maintenance d’environ un milliard d’euros en 2013. On ne risque donc pas grand chose à évaluer à au moins 1,5 milliard d’euros les crédits consacrés à la maintenance programmée de l’ensemble du parc des trois armées.
Donc, on dépenserait un milliard et demi d’euros pour arriver à une disponibilité moyenne de 38%.
Alors osons un dernier chiffre: dans les conditions opérationnelles actuelles, il manquerait au minimum 500 millions annuels pour restaurer la disponibilité aéronautique à un niveau durable.
Ainsi, faute de substantiels crédits supplémentaires de maintenance, nos forces aériennes semblent appelées à voir leur activité opérationnelle … décliner (un mot difficile à écrire s’agissant de notre aviation nationale !).
A propos du Maintien en Condition Opérationnelle, le Général Palomeros disait en 2012 : « J’appelle cela la bataille du MCO, afin de donner un caractère militaire à cette question centrale, parce que je crois qu’il faut réellement prendre ce problème comme un combat – un combat que nous ne pouvons pas perdre [ …] » *
La bataille n’est pas gagnée … le combat continue.
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* Citation issue d’un entretien publié dans News Mili