Finalement, il est là … le gros bébé militaire d’Airbus. Certains avaient prononcé son oraison funèbre, même après qu’il soit né: sorti d’usine le 26 juin 2008, il fallut attendre le 11 décembre 2009 pour voir le Grizzli prendre l’air. Qui a dit qu’il ne faut pas concevoir un nouvel avion avec des nouveaux moteurs ? Finalement, les « Europrop » TP400-D6 n’auront plombé le programme que de quelques mois supplémentaires. Evidemment, il fallait être un peu anglais pour avoir l’idée d’emprunter un C-130 de chez Lockheed, le concurrent, pour tester les 11 000 chevaux vapeur du super-turbo-propulseur européen. Pourquoi ne pas avoir testé l’aile de l’Airbus dans la soufflerie de chez Boeing, tant qu’on y était?
Alors que le programme n’était ratifié qu’en mai 2003, le MSN01 voyait le jour 5 ans plus tard. Le programme avait un dépassement budgétaire de 38%, soit un total de 28 milliards d’euros pour le développement et la fourniture des 180 appareils prévus au départ pour les huit pays membres de l’accord (Allemagne, France, Espagne, Royaume-Uni, Turquie, Belgique et Luxembourg, Afrique du Sud) avaint commandé initialement. Pour mémoire, l’Italie s’était retirée du programme, préférant être un des clients de lancement du C-130J. Le premier client export de l’avion est la Malaisie (4 ex).
L’année 2013 a vu l’accélération du programme, avec le dimensionnement de toute la chaîne de sous-traitants, et la sortie des premiers exemplaires de série, à commencer par les MSN7 et 8 destinés à l’Armée de l’Air (premiers vols respectivement les 6 mars et 7 juin 2013). Les avions suivants sont attribués dans l’ordre à: la Turquie (MSN9), puis à nouveau la France (MSN10-11-12), puis à la Turquie (MSN13), puis à la France (MSN14), puis à l’Angleterre (MSN15-16-17), puis à l’Allemagne (MSN18). C’est tout pour 2014. En 2015, Airbus a prévu de sortir 24 Atlas.
L’A400M est en effet devenu Atlas après qu’un chef d’état major qui n’aimait pas les plantigrades à fourrure ait mis son veto au premier nom, Grizzly. Mais Atlas ça nous va bien aussi à nous les Français (et aux Allemands aussi, d’ailleurs, eux qui ont construit le Noratlas sous licence). On devine à ce genre de détail que le partage des tâches industrielles autour de ce programme fédérateur a dû se faire dans la joie et la bonne humeur.
Le programme est prometteur car l’A400 est placé juste entre les gros porteurs de la classe 70-80 tonnes de charge maxi (type C-17 ou Antonov 22) et les poids moyens de la classe 15-20 tonnes de charge maxi (C-130J). Un peu comme l’Airbus A300 se plaçait entre le Boeing 727 et le DC-10. On parle ici des avions à rampe de chargement arrière, capables de transporter des gros véhicules militaires. Le diamètre de la soute de l’Atlas atteint presque 4 mètres, dimension exigée pour transporter certains engins terrestres ou l’hélicoptère CH-47 (avec quand même le démontage de son mât de rotor arrière). Mais l’avion est courtaud, ce qui explique les très grandes dimensions de sa dérive et de son empennage horizontal, manoeuvrabilité oblige.
Question autonomie, c’est la même chose: l’A400 est intermédiaire entre les poids moyens (Hercules) et les transports stratégiques américains: avec 20 tonnes de charge utile, il est intercontinental (6300 km d’autonomie), et avec 30 tonnes, la moitié de l’Afrique et tout le Moyen-Orient sont à sa portée, sans ravitaillement en vol (4500 km). La charge maximale est donnée pour 37 tonnes. L’autonomie maxi pour 8700 km. On a donc un avion parfaitement adapté à la plupart des pays européens, en particulier la France.
Contrairement à un avion lourd de type C-17, l’Atlas peut aussi assurer la logistique intra-théâtre, grâce à sa capacité d’atterrir sur des pistes sommairement aménagées. C’est un avantage de la formule turbo-propulseur: ceux-ci sont placés dans le prolongement de l’aile haute, alors que la formule turbo-réacteur entraîne presque toujours la présence de nacelles sous l’aile, avec un risque beaucoup plus grand d’ingestion de corps étrangers. A la masse de 100 tonnes, l’A400 se contente d’une piste sommaire de moins de 1000 m.
Malgré la propulsion à hélices, le quadrimoteur croise à Mach 0,7 et au niveau 330. Outre les avantages en terme de confort et d’autonomie, la conséquence en est de faciliter une des missions secondaires de l’appareil: le ravitaillement en vol. Celui-ci pourra s’effectuer hors des basses couches turbulentes de l’atmosphère, dans la plupart des cas.
La mise en service effective de l’A400 change la règle du jeu dans l’Armée de l’Air, et par conséquent aussi dans l’Armée de Terre. En effet, le volume de la soute, et surtout son diamètre, associé à la rampe arrière, permet de projeter d’un seul coup d’aile les éléments d’une force d’intervention, en Afrique ou au Moyen-Orient. Avec 10 rotations d’A400, on peut déployer en une journée 500 militaires et 150 tonnes de matériel, y compris des engins blindés d’infanterie.
Les livraisons pour l’Armée de l’Air (officiellement, 50 ex sont encore prévus) ne comprendront que 15 avions pendant la LPM 2014-2019, soit beaucoup moins qu’espéré. Il faudra un très gros effort pour maintenir une partie de la flotte de Transall en état opérationnel au-delà de 2020 (on parle de 2023). C’est la base aérienne 123 d’Orléans Bricy qui a été choisie pour héberger la flotte d’A400, avec le centre de formation multinational. L’ET 1/61 Touraine, actuellement en cours de réveil, prendra la suite de la MEST (Multinational Entry into Service Team).
Une majorité du personnel de la MEST rejoindra le « Touraine » en sept 2014: une grande partie des expérimentations opérationnelles auront alors été menées à bien. La MEST compte une quinzaine de pilotes de tous horizons, qui apportent chacun leur culture. Tous doivent assimiler la philosophie Airbus au niveau de la « barque cockpit »: ça vole bien avec le moins possible de voyants allumés. Au niveau du pilotage, c’est le mini-manche qui tranche le plus sur l’ancienne génération de commandes de vol. Les manettes moteurs et les commandes de trains et de volets ressemblent plus à du classique.
Est-ce que la dotation d’un escadron d’Atlas sera la même que celle d’une unité de C-130 ou de Transall ? Si c’est le cas, dans les 5 prochaines années on ne verra que l’ET 1/61 voler sur A400. Il est probable que les choses vont évoluer du côté des deux bases de transport de l’ouest: la logistique à Orléans deviendra compliquée, avec une flotte comprenant un escadron d’A400, un de C-130 (le 2/61 Franche-Comté) et le « Poitou » qui vole sur trois types d’avions. Est-ce que le moyen terme verra la base aérienne d’Evreux abriter les unités d’avions tactiques « classiques » (C-160 et C-130), tandis qu’Orléans conservera les escadrons volant sur Airbus et l’unité spéciale ?
Toutefois, toute réflexion sur le transport aérien militaire ne saurait se soustraire à l’environnement européen, puisque l’on sait qu’une bonne partie du trafic opérationnel des avions cargo militaires de 5 pays (Allemagne, Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas) est géré depuis 2010 par l’ European Air Transport Command, dont le siège est à Eindhoven. Quatre de ces pays ont commandé le Grizzly, pas les Pays-Bas.
Un point à soulever, me semble-t-il, celui de la capacité tactique de l’Armée de l’Air dans le segment des 10 tonnes/3000 km, qui est celui des Transall. A supposer que la totalité des 50 Atlas prévus soit effectivement livrée aux ailes tricolores, on est en droit d’en douter, quel avion pour assurer la partie plus légère de la logistique ? Le jumbo de 76 tonnes à vide ? Faire voler 2 kg d’avion, ça coûte deux fois plus cher que faire voler 1 kg d’avion. L’Armée de l’Air envisagerait-elle d’affecter une partie de la flotte de CN-235, un avion assez léger avec une soute de diamètre inférieur à celle du C-160, aux missions tactiques en opex actuellement effectuées par les « Transaux » ?
Après le « Ville d’Orléans » et le « Ville de Toulouse », gageons que la cité de Reims ne devrait pas tarder à être honorée, la BA 112 étant une ancienne base de transport. Et il y a encore d’autres villes candidates.
Remerciements : le site d’Airbus Defense and Space, pour les photos, ainsi que celui de l’Armée de l’Air.
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