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Appui aérien à la Neuf – 1

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La nav BA au temps de la 9

Revenons donc à la contemporalité de nos amours : au temps de la 9. Après, ou en même temps que la prise en main de son avion, le jeune pilote est entraîné à l’exercice de la navigation à basse altitude. Basse altitude, ça veut dire 300 pieds/sol, ou 100 mètres si vous préférez. Dans ces conditions, pas question de survoler les grandes villes. Du reste pédagogiquement, ce serait peu instructif de se recaler sur Metz, Toul ou Verdun. L’équipement pour ce genre de mission est simple : une carte à l’échelle de 1/500.000e (1 cm= 5 kilomètres) ou 1/100.000e pour l’arrivée sur l’objectif (1 cm= 1 km).

La vitesse choisie est deux ordres : dans les ‘lignes amies’, 11 kilomètres par minute suffiront. Passé un endroit défini par le chef de patrouille avant le décollage, on entre en territoire ‘ennemi’, la vitesse est alors portée à 13,5 km /min. Pour le pilote, peu importe, il a sa carte sur son genou gauche (je parlerai du genou droit plus tard). Un revêtement plastifié permet un tracé au crayon gras effaçable après usage, ce qui permet un usage multiple du document. L’Armée de l’Air n’est pas riche et le pilote est prié d’économiser les cartes mises parcimonieusement à sa disposition. Le pilotage se fait uniquement à vue : les deux seuls instruments de navigation utiles sont le gyro-compas pour le cap et le chronomètre pour le temps. L’élève équipier applique la formule bien connue en physique: E=VT. Compte tenu du rapport, à basse altitude, entre la vitesse propre de l’avion et celle du vent, on considérait qu’il n’y avait pas de dérive.

J’ai toujours aimé la navigation à basse altitude : on voit du pays ! On fait ainsi de la géographie appliquée ; de l’histoire aussi : voici les Vosges et sa ligne pas toujours bleue. Le Rhin traversé perpendiculairement passe vite. Pour le Danube -lui non plus pas bleu- c’est mieux, parfois nous allons lui et moi, dans la même direction … C’est à cette occasion que j’ai appris que ça se disait Donau en Allemand (cf mon livre ‘Pilote de Guerre’, p. 134). Les cartes que nous fournit la République sont de trois provenances. Une édition anglaise avec toutefois une échelle décimale (au diable les inches !), une allemande qui tentera de nous séduire à partir de 1956, et l’édition française issue de l’IGN. C’est celle-ci que je préfère. Pas par un chauvinisme mal placé, mais parce que ces cartes-là sont de belle calligraphie : les montagnes, les fleuves, les voies ferrées. Très important, les voies ferrées. Les cartes françaises avaient l’assentiment général. Et puis au moins … c’est écrit en français.

Sur son genou droit le pilote porte, attachée par un élastique, la planchette de vol. Sur la planchette de vol, le ‘log’ (tiré de l’anglais). Le log contient peu d’indications mais celles qui y sont inscrites sont essentielles : le ou les caps à prendre, la durée du vol entre deux points remarquables, comme par exemple le point ‘tournant’ qui est à tout le moins l’objectif à atteindre. Et surtout la consommation de carburant. En fait, ce qui m’importe le plus, ce n’est pas ce que j’ai consommé de pétrole mais bien ce qui reste dans mes réservoirs. Un turboréacteur de F-84 consomme beaucoup à basse altitude, probablement 50 lbs/min (ce qui devait faire 40 litres).

Donc, sur la cuisse gauche, la carte, sur la droite, la planchette de vol. On comprend dès lors, pourquoi les unijambistes ne peuvent pas être pilote de chasse ! Le jeune pilote doit être contrôlé dans l’avancement de la connaissance de son métier. Pour cela, en vol, il est affublé d’un leader, pilote confirmé. Le pilote à l’entraînement vole en tête : c’est lui le leader apparent.

De temps en temps, son chef lui pose par radio des questions embarrassantes:
« Cornac bleu 2, comment s’appelle la ville à nos deux heures ?
Alors l’élève répond: « Château-Salins » (là on n’est pas loin de chez nous !) ou Marmoutier, ou Brumath …
-…et la rivière en dessous ? »
Puis on arrive en Allemagne: Villingen, Trössingen, Donaueschingen … Mais aussi: Ulm -facile- , Dambach ou autres Erfurt.
Parfois on se trompe dans la réponse, alors le chef n’est pas content. Mon vieux copain depuis St-Yan, Aubin Wach (mort en SAC), alsacien jusqu’au fond de la gorge, a compris le système : questionné par son chef, il répond en bafouillant: « C’est … gheim ! »
Comme déjà au sol, on a du mal à le comprendre, alors … en l’air et à la radio.
« Ok », répond alors le chef qui n’a rien compris mais qui, intuitivement, pense que le doute profite toujours à l’accusé. Mais ça ne marche pas à tous les coups. A une réponse se terminant par le traditionnel « … gheim », Wach s’entendit répondre « Non, pas de pot … aujourd’hui ça se termine en … dorf ». Même un pilote de chasse peut se faire piéger !

Une fois la ‘nav BA’ bien assimilée, le jeune pilote se verra attribuer une ‘Mission de Guerre’. Nous en parlerons plus tard …

Copyright: Michel Brisson et escadrilles.org